De grands professeurs de médecine français sont descendus dans la rue mardi pour dénoncer une réforme qui livre selon eux l'hôpital public à une gestion «mercantile», et se joindre à un mouvement de mécontentement qui touche déjà le monde universitaire.

Des milliers de personnels hospitaliers, la plupart en blouse blanche, dont pour la première fois depuis des années nombre de grands patrons comme le pionnier français de la fécondation in vitro René Frydman ou le professeur Bernard Debré, pourtant également député UMP (droite au pouvoir), ont commencé à défiler dans Paris.

Derrière une banderole revendiquant la «qualité et l'égalité d'accès aux soins», la défense de l'hôpital public, et protestant contre «les suppressions d'emplois, et l'hôpital-entreprise», les manifestants devaient rejoindre le Sénat, où doit commencer le 11 mai l'examen du projet de loi déjà adopté par l'Assemblée nationale.

Ils devaient y être rejoints par les enseignants et chercheurs des universités, qui manifestent aux aussi contre une réforme visant selon le gouvernement à mieux gérer leurs activités.

Parallèlement, des mouvements de grève touchaient les hôpitaux dans tout le pays, observés par plus de 50% des personnels à Paris, mais environ 10% au niveau national.

«Je n'ai pas l'habitude d'aller dans la rue, ce n'est pas du tout mon style, mais il se passe quelque chose de grave pour le système hospitalier français», s'est expliqué mardi matin sur la radio RMC le professeur Laurent Lantieri, pionnier mondialement connu des greffes de visage.

Le projet de loi prévoit notamment de confier la gestion de l'hôpital public à son seul directeur, un haut fonctionnaire, qui devait jusqu'à présent obtenir l'accord d'une commission médicale pour toutes les décisions importantes.

La ministre de la Santé, Roselyne Bachelot, estime que cette modification est la seule à même d'assurer une meilleure gestion de l'hôpital public et de maintenir le niveau d'un des meilleurs systèmes de santé du monde.

Mais les professeurs et chefs de service, qui ont généralement gardé leurs distances avec les mouvements de contestation, se sont élevés contre ce texte.

Les médecins estiment que le directeur aura pour priorité la lutte contre les déficits et privilégiera donc les «pathologies rentables». Ils craignent aussi que les directeurs suppriment des emplois sans leur aval, notamment parmi les infirmières, dans le seul but de réaliser des économies.

«Il faut un patron à l'hôpital, cela paraît évident», a admis le professeur Lantieri, mais «l'hôpital n'est pas une entreprise comme les autres; nous craignons que tout soit dicté uniquement sur des contingences purement financières et administratives».

A la mi-avril, 25 grands patrons hospitaliers ont lancé dans la presse un appel à la tenue d'une concertation sur l'hôpital public, soulignant la nécessité d'une réforme mais refusant une loi «destructrice» qui selon eux «cale l'hôpital sur l'entreprise».

Le sociologue Frédéric Pierru, spécialiste des politiques de santé, souligne mardi dans un entretien au quotidien Le Monde que ce mouvement est l'expression d'un «profond malaise» à «replacer dans la dynamique des réformes précédentes qui ont créé un climat de tensions et de mécontentement général à l'hôpital».

Les partisans de la réforme ont de leur côté dénoncé une révolte de «mandarins» voulant conserver leur pouvoir.

Et si l'opposition de gauche a dénoncé la réforme, celle-ci a reçu le soutien du président de la Fédération Hospitalière de France (FHF), l'ancien ministre socialiste de la Santé Claude Evin.