Dans les pays anglo-saxons - dont le Canada -, il est courant de colliger au moment du recensement des données sur le profil ethnique de la population. Rien de tel en France, où l'idée suscite, chaque fois, une véritable levée de boucliers.

Le commissaire à la Diversité et à l'Égalité des chances, Yazid Sabeg, qui a remis hier au président français un rapport sur la meilleure façon de lutter contre la discrimination dans le pays, vient de constater à ses dépens que le sujet reste plus sensible que jamais.

 

Après avoir évoqué son intérêt dans le quotidien Le Monde pour la collecte de données anonymes permettant de mesurer «le sentiment d'appartenance» des citoyens français - une façon diplomatique d'évoquer leur appartenance ethnique -, il est la cible de virulentes critiques.

La plus récente salve est venue dimanche du sein même du gouvernement par l'entremise de la secrétaire d'État à la politique de la Ville, Fadela Amara, qui va jusqu'à évoquer le fichage des juifs pratiqué par le régime de Vichy, durant la Seconde Guerre mondiale, pour sonner l'alarme.

«Notre république ne doit pas devenir une mosaïque de communautés. Plus personne ne doit porter l'étoile jaune», a déclaré Mme Amara, qui ne veut rien entendre de la notion de statistiques ethniques ou de discrimination positive à l'américaine.

Le président du Conseil représentatif des associations noires (CRAN), Patrick Lozès, qui réclame des statistiques de ce type depuis des années, se dit «choqué» par la sortie de Mme Amara.

«Ce genre de déclaration, qui a vocation à faire peur aux citoyens, devient insupportable... Il ne faut pas jouer avec des symboles extrêmement sensibles», déplore en entrevue le militant.

Personne ne veut «évidemment» rétablir les fichiers qui ont servi à la déportation des juifs, souligne M. Lozès, qui insiste sur la nécessité de rassurer la population sur l'usage qui pourra être fait de ce qu'il appelle les «statistiques de la diversité».

Le but, dit-il, est de pouvoir enfin prendre la mesure des discriminations dont sont victimes les citoyens, en particulier lorsqu'ils sont issus de minorités visibles, pour pouvoir apporter les correctifs requis.

Faute d'agir, la France risque de se transformer en «pays d'apartheid», prévenait récemment à la radio Yazid Sebag, qui ne semble guère secoué par les critiques.

«On est une société qui est en train de se fractionner. C'est un vrai trouble à l'ordre public», souligne le commissaire, qui s'alarme de constater que les pauvres et les exclus sont «massivement» issus des minorités ethniques.

«La période qui s'ouvre est la dernière chance que nous avons», indique-t-il en relevant que les émeutes survenues en 2005 dans les banlieues de plusieurs grandes villes, dont Paris, témoignent d'une «guerre civile sociale» en devenir.

Siham Habchi, présidente de l'organisation Ni putes ni soumises, très présente dans les banlieues, estime que les statistiques en question ne feraient qu'isoler plus encore les membres des minorités.

«Après l'assignation à résidence dans nos quartiers ghettos, on continue à nous exclure de la communauté nationale en nous demandant de nous définir par nos origines communautaires», déplore-t-elle.

À défaut de pouvoir compter sur un large consensus, le conseiller de Nicolas Sarkozy, qui est favorable à l'idée, peut se féliciter de l'appui tacite du Parti socialiste. La formation de gauche a présenté il y a un mois une proposition de loi favorable à la collecte de statistiques sur le «ressenti d'appartenance».

Les dirigeants socialistes, qui veulent aussi soutenir la lutte contre la discrimination, souhaitent que la collecte de ces «données sensibles» soit encadrée par de «nombreuses garanties» pour éviter les dérapages. Les réponses, préviennent-ils, devraient être recueillies anonymement, sur une base volontaire, sous la supervision du Comité national informatique et libertés.

La proposition a été mise de côté par le gouvernement, qui devrait aller de l'avant avec son propre projet de loi après avoir pris connaissance des conclusions de M. Sebag.

 

Au Canada

Le gouvernement canadien collige des statistiques ethniques depuis plus de 100 ans pour suivre de près la diversité de la population et faciliter l'application des programmes de lutte contre la discrimination. Les répondants doivent préciser l'origine ethnique de leurs ancêtres, le pays dans lequel ils sont nés ainsi que le groupe de population auquel ils estiment appartenir (blanc, noir, asiatique, etc.). Lors du dernier recensement, mené en 2006, plus de 215 origines ethniques ont été déclarées, comparativement à 25 un siècle plus tôt.