Mitraillettes, cagoules noires, bousculades entre forces spéciales et députés: le spectacle indédit qui s'est déroulé mercredi au siège de la société Naftogaz à Kiev marque une nouvelle aggravation du conflit entre le président ukrainien et son premier ministre.

«Les chefs se disputent, leurs subordonnés trinquent», commente à l'AFP une source proche du dossier, en référence à Viktor Iouchtchenko et sa rivale Ioulia Timochenko.

Alliés pro-occidentaux à l'époque de la «révolution orange» de fin 2004 qui les a portés au pouvoir, ils sont devenus depuis des ennemis jurés, se traitant «comme des chiens», selon l'expression de l'ambassadeur russe, Viktor Tchernomyrdine.

Rien que ces derniers mois, les deux chefs de l'exécutif se sont accusés de vol et de corruption.

Nouveau coup de théâtre mercredi: une vingtaine d'inconnus armés et encagoulés ont fait irruption à la mi-journée au siège de Naftogaz, la société publique d'hydrocarbures, dans le centre de Kiev.

«Ils ont repoussé les gardiens pour entrer. On a l'impression qu'ils cherchent à bloquer certains bureaux», expliquait le porte-parole Valentin Zemlianski, en évoquant la piste du SBU, les services de sécurité loyaux au président Iouchtchenko.

Une journaliste de l'AFP a vu douze hommes armés de mitraillettes et de pistolets, encagoulés et vêtus de noir, notamment devant le bureau d'une responsable de la comptabilité.

Ajoutant à une situation déjà insolite, des députés pro-gouvernementaux, accourus au siège de Naftogaz, en sont venus aux mains avec les intrus. Egalement dépêchés sur place, plusieurs hommes du ministère de l'Intérieur, relevant du Premier ministre, n'ont cependant pas participé à la bagarre.

Peu après, le SBU confirmait sa présence chez Naftogaz, dans le cadre d'une «enquête judiciaire sur la possession par des responsables de cette société de 6,3 milliards de mètres cubes de gaz».

Au passage, selon M. Zemlianski, le SBU a tenté en vain de saisir les originaux des contrats conclus le 19 janvier entre Naftogaz et le géant gazier russe Gazprom pour mettre fin à la nouvelle guerre gazière ukraino-russe.

La Russie avait suspendu le 1er janvier ses livraisons de gaz à l'Ukraine pendant plus de deux semaines, provoquant une crise qui a fortement affecté plusieurs pays européens.

Les contrats conclus à l'issue de cette crise ont été approuvés par Mme Timochenko mais dénoncés par la présidence ukrainienne, qui les a trouvés contraires aux intérêts nationaux.

Un des points clés de la dispute «au sommet» concerne la cession par Gazprom à Naftogaz de 11 milliards de mètres cubes de gaz appartenant à l'intermédiaire gazier RosUkrEnergo (RUE).

«Timochenko estime que ce gaz appartient déjà à l'Ukraine. Iouchtchenko est de l'avis contraire», explique l'analyste Iouri Iakimenko, du Centre des recherches politiques et économiques Razoumkov.

Mme Timochenko, qui était en visite en France mercredi, a à plusieurs reprises accusé le président Iouchtchenko de défendre les intérêts d'hommes ukrainiens associés à RUE, ce que le chef de l'Etat a démenti.

Quoi qu'il en soit, le tiraillement des forces de l'ordre par des adversaires politiques crée «une menace d'affrontements» entre les représentants de ce dernier, avertit M. Iakimenko, rappelant un premier incident de ce genre datant de 2007.

Enfin, Gazprom s'est déclaré dans un communiqué «préoccupé» par la situation chez Naftogaz, espérant qu'elle «n'influerait» ni le paiement de livraisons de gaz russe à l'Ukraine ni son transit vers l'Europe par le territoire ukrainien.