»Quand on vit à six dans une cellule de 9 m2 avec un schizophrène, un dément précoce, c'est sûr qu'on ne peut pas tenir», dit Nan Aurousseau, ancien détenu devenu écrivain, qui dénonce comme beaucoup d'autres les prisons surpeuplées de France avec un taux de suicide record.

L'administration pénitentiaire a reconnu une «situation préoccupante» avec une accélération du nombre de suicides de détenus (au moins 11) depuis le 1er janvier.

Avec 115 suicides en 2008, la France enregistre l'un des taux les plus élevés d'Europe: deux fois celui de l'Allemagne ou de la Grande-Bretagne, et trois fois celui de l'Espagne, selon les chiffres du Conseil de l'Europe qui épingle régulièrement la France dans ce domaine.

Syndicats et professionnels du secteur pointent du doigt la surpopulation carcérale et des conditions de vie «pathogènes» cumulant manque d'activités, de reconnaissance, d'hygiène (une seule douche par semaine), et vexations, agressions, viols, voire meurtres.

Si «on ne peut pas globaliser» l'explication de ces suicides, le mélange en détention de délinquants avec des malades mentaux aggrave encore une situation déjà «scandaleuse», dénonce Nan Aurousseau, qui vient de publier «le ciel sur la tête», un roman noir sur les jeunes en milieu carcéral.

«Maintenant, on met ensemble des psychopathes et des délinquants car on associe la maladie mentale à la délinquance, ce qui est une aberration totale», s'enflamme-t-il.

Pour lui, «il y a une contamination mentale qui est terrifiante avec des jeunes qui deviennent eux aussi des psychopathes».

Même constat de Gabriel Mouesca, ancien prisonnier et président de l'Observatoire international des prisons (OIP), une association qui défend les droits des détenus.

«Il y a une présence de plus en plus importante de gens qui ont des problèmes psychologiques et psychiatriques lourds», regrette-t-il. Pour lui, «si on mettait le dalaï lama dans les conditions de détention qu'il y a en France aujourd'hui, tout dalaï lama qu'il est, il pèterait les plombs aussi».

Selon une étude réalisée en 2003-2004 en France, 14% des détenus souffrent de psychoses avérées (dont 7 % de schizophrénies) et 40% de troubles dépressifs.

Il est très compliqué de faire accepter en hôpital psychiatrique des détenus. «Ils sont considérés comme indésirables», explique à l'AFP le Dr Luc Massardier, vice-président de l'Association des secteurs de psychiatrie en milieu pénitentiaire.

L'administration pénitentiaire, réfutant un lien entre suicide et surpopulation carcérale, a souligné que la vague récente touchait majoritairement des personnes liées à des affaires sexuelles, isolées en détention.

Le Dr Louis Albrand, qui doit remettre fin janvier un rapport au gouvernement sur la prévention du risque suicidaire, a de son côté invité à établir «un rapport entre le suicide et la maladie mentale».

L'OIP et les syndicats du secteur demandent un plan d'urgence pour faire face à une «situation explosive», alors qu'un projet de loi pénitentiaire doit être examiné dans les semaines à venir.

Le Premier ministre François Fillon s'est dit décidé lundi à s'attaquer à l'augmentation «poignante» des suicides, lors de l'inauguration d'une des nouvelles prisons construites avec des partenaires privés.

13.220 nouvelles places sont prévues d'ici 2012, alors que la France connaît l'un des taux de supopulation les plus élevés d'Europe avec plus de 63.600 détenus pour quelque 51.000 places.

Dans ses recommandations, le contrôleur général des prisons Jean-Marie Delarue a demandé des «moyens» pour les prisons, s'inquiétant, après plusieurs agressions et meurtres, des dangers encourus par les détenus notamment dans les cours de promenade devenues des «zones de non-droit».

Pour bon nombre de syndicats et professionnels, il faut surtout «qu'il y ait un renversement culturel et qu'on arrête de faire de la prison en France une machine à broyer», résume Gabriel Mouesca.