La législation permissive des Pays-Bas en matière de prostitution et de drogues douces a longtemps constitué l'illustration la plus spectaculaire de la tolérance des Néerlandais. Mais les choses sont en train de changer.

À coups d'interdits, la coalition gouvernementale au pouvoir à La Haye complique la vie des exploitants de commerces voués aux plaisirs charnels et à la consommation de stupéfiants. Au point que cela pourrait modifier radicalement, à terme, le visage d'Amsterdam et de son légendaire Red Light.

Bien que la ville ait déjà racheté un quart des bâtiments de la zone pour remplacer par des boutiques branchées des dizaines de vitrines où s'exhibaient des prostituées, le changement est encore difficilement perceptible.

De jeunes femmes ne portant qu'une culotte moulante et des talons hauts continuent, derrière des fenêtres rougeâtres, de se déhancher lascivement dans l'espoir d'attirer quelques-uns des touristes amusés qui arpentent les rues.

Même apparence de normalité dans les coffee shops comme le Bulldog, qui se targue, sur sa devanture, d'être le premier commerce de ce type à ouvrir ses portes, en 1975.

Le barman, un grand blond qui fume tranquillement de la marijuana en servant les clients, s'emporte lorsqu'il est question de la menace qui pèse sur son secteur d'activité. Une loi récente force la fermeture de tout coffee shop situé à moins de 250 mètres d'une école.

Une mesure complètement vaine, dit-il, puisque les élèves qui veulent des drogues douces n'auront qu'à aller plus loin.

«C'est complètement stupide. Chaque année, les autorités trouvent d'autres lois du même genre. Ce sont les chrétiens-démocrates (le principal parti de la coalition au pouvoir) qui les fabriquent », peste le barman.

Dans un plan annoncé il y a quelques semaines, la mairie d'Amsterdam a évoqué cette loi pour justifier la fermeture prochaine de 43 des 228 coffee shops de la ville. Le conseil municipal souhaite de plus remplacer nombre de commerces à caractère sexuel par des boutiques haut de gamme de manière à «améliorer la qualité» de la zone.

Le maire de la ville, qui écarte toute motivation puritaine, explique qu'il faut contrer le rôle croissant du crime organisé, tant dans les commerces de nature sexuelle que dans la distribution des drogues douces.

Paradoxe

Bien que la loi permette la vente de cannabis aux particuliers ainsi que sa consommation, paradoxalement, elle n'autorise pas sa production à des fins commerciales. Cela oblige les exploitants des commerces à demeurer discrets sur l'identité de fournisseurs qui, de facto, font affaire en marge de la loi.

Les critiques des coffee shops évoquent aussi l'impact négatif du « tourisme de stupéfiants », qui attire bon an mal an plus d'un million de visiteurs en Hollande.

Deux villes du sud du pays ont récemment pris l'initiative d'interdire carrément les coffee shops, une première, en évoquant l'insécurité générée par cet afflux de visiteurs souvent colorés.

Bien que le gouvernement demeure officiellement acquis à une politique permissive en matière de drogues douces, le leader parlementaire des chrétiens-démocrates, Pieter van de Geel, a récemment souligné publiquement qu'il fallait tendre vers « zéro » en matière de coffee shops.

Dans un sondage récent, les deux tiers des maires du pays se disent favorables au maintien d'établissements de ce type. Et les trois quarts d'entre eux préfèrent que le gouvernement légifère pour légaliser la production de drogues douces plutôt que d'en interdire la consommation.

Sur le site de la radio nationale néerlandaise, le chroniqueur Perro de Jung s'étonne que les autorités évoquent le rôle du crime organisé pour s'en prendre au Red Light et aux coffee shops.

Virage sécuritaire

Le volet criminel de ces activités est connu depuis longtemps, souligne-t-il. Ce qui a vraiment changé, c'est l'attachement des Néerlandais au respect de la vie privée et aux libertés individuelles.

Le terrorisme, le meurtre du politicien Pim Fortuyn et du cinéaste Theo Van Gogh ainsi qu'un débat très chargé sur l'immigration et l'islam ont « traumatisé » les citoyens et facilité le virage sécuritaire en cours, souligne M. de Jung, qui s'étonne de voir le gouvernement s'attaquer au commerce du sexe tout en négligeant de sévir contre des mosquées intégristes.

Cette position n'est sans doute pas étrangère au fait que la coalition compte dans ses rangs deux partis d'inspiration religieuse, dont une formation secondaire, l'Union chrétienne, qui parle de faire une place plus grande à « la volonté de Dieu » dans la société néerlandaise.

«Les défenseurs (de la sexualité) ont tendance à faire l'amour et non la guerre... ce qui signifie qu'ils sont plus faciles à ignorer qu'une foule de musulmans en colère», ironise le chroniqueur.