Mardi soir dernier, la majorité des militants du Parti socialiste ont poussé un soupir de soulagement: après 10 jours de crise et de rebondissements, le parti n'a pas explosé. C'est déjà ça. Mais ce n'est que ça. Entre les deux blocs rigoureusement égaux, Ségolène Royal d'un côté, presque tous les «éléphants» socialistes de l'autre, le face à face presque haineux continue. Avec des promesses de guérilla permanente pour les mois à venir. Et un «scénario de pourrissement» en vue, comme cela se dit au siège du parti, rue de Solférino à Paris.

Il y a d'abord le congrès de Reims, qui se conclut le 16 novembre au petit matin sur un constat de désaccord total. L'ancienne candidate malheureuse à la présidence, que l'on estimait en totale perte de vitesse, avait créé la surprise en obtenant 29% des voix des militants sur sa «motion». Elle distance très nettement le maire de Paris, Bertrand Delanoë, nouveau chouchou des sondages et qui passait pour le grand favori dans cette course à la direction du PS. Il devance de quelques voix à peine Martine Aubry, la mairesse de Lille, autre représentante de la vieille garde du parti.

 

Selon la tradition, la «motion» arrivée en tête négocie des alliances et constitue sa propre majorité dans le parti. Mais à Reims, c'est le blocage. Ou plutôt un front TSS - Tout sauf Ségolène - se constitue: ce sera donc l'affrontement. Delanoë se rallie à Aubry et à eux deux, ils totalisent sur papier 49% des militants. La gauche du parti maintient son candidat, Benoît Hamon, qui a frôlé les 20% à Reims.

Premier tour de scrutin, jeudi 20, pour les 233 000 adhérents (plus ou moins) en règle du PS. Résultat le lendemain matin: Ségolène a fortement progressé, avec 43% des voix. Hamon se désiste à son tour en faveur de Martine Aubry: à eux deux, ils totalisent confortablement 57% des voix. Et puis c'est le second tour, le 21 en fin de journée. Des résultats incroyablement serrés où la victoire change de camp plusieurs fois dans la nuit. À 5h30 du matin, le décompte officiel: sur 137 000 votants, 42 voix de majorité pour Martine Aubry!

Dans le camp de Ségolène Royal, on crie à la fraude: Vincent Peillon demande un nouveau scrutin, et Manuel Valls annonce des contestations devant les tribunaux. De la tricherie et des fraudes, il y en a eue, comme c'est la tradition, notamment dans de très grosses fédérations «verrouillées» par l'un ou l'autre camp: Ségolène a miraculeusement obtenu 72% à Marseille, et Martine Aubry 76% sans sa région du Nord (Lille). En fait, les deux blocs sont à égalité, et aucun des deux camps ne peut se targuer d'une victoire claire et légitime.

Après examen du scrutin, lundi et mardi, par une commission de «récolement» (!) au PS, le résultat définitif tombe: 102 voix de majorité pour Aubry. On s'attend à une foire d'empoigne en fin de journée au Conseil national, où les «ségolénistes» ne tiennent que le tiers des 237 sièges. Martine Aubry est proclamée vainqueur par 159 voix contre 76. Mais, contrairement aux prévisions, la collision frontale n'a pas lieu, et le camp Royal s'incline devant le résultat officiel. «Si Ségolène s'était acharnée à contester le résultat, y compris devant les tribunaux, elle serait passée pour une mauvaise perdante et aurait eu l'opinion et les militants contre elle», dit un proche de Martine Aubry.

Officiellement la guerre est terminée. Ou plutôt, comme disent les deux camps avec un large sourire, «elle n'a jamais eu lieu». Le mercredi matin, rue de Solférino, passation de pouvoir entre François Hollande, premier secrétaire depuis 11 ans, et Martine Aubry. Laquelle reçoit aussitôt après une Ségolène Royal radieuse, qui proclame son intention de travailler pour le bien et l'«unité» du parti. Tout en rappelant sur le même ton suave: «À moi toute seule, j'ai rassemblé 50% des militants et peut-être un peu plus, contre la totalité du vieil appareil du parti.» La guérilla peut commencer.

Martine Aubry, 58 ans, ancienne ministre-vedette du gouvernement Jospin, est une forte personnalité capable de devenir la vraie patronne du PS et une présidentiable. Mais dans ce parti de clans et de réseaux, elle reste pour l'instant une femme plutôt seule, la candidate «TSS» derrière laquelle se cachent les vrais chefs de clan: Bertrand Delanoë et François Hollande, Laurent Fabius et Dominique Strauss-Kahn. Qui ne s'aiment pas trop entre eux. Comme le titrait jeudi Libération sur une photo pleine page à la une de Martine Aubry: «Bon courage...»