La vidéosurveillance gagne des adeptes dans l'Hexagone. À preuve, le ministère de l'Intérieur entend tripler le nombre de caméras de surveillance sur la voie publique d'ici à 2010. Un nombre grandissant d'entreprises succombent aussi à cet «outil de prévention». Pourtant, l'impact d'une telle technologie sur la criminalité est plus qu'incertain, soutiennent des études.

En février, la direction de l'école élémentaire de la rue Rollin, à Paris, ne s'est pas inquiétée outre mesure lorsque de jeunes collégiens ont balancé des pétards dans la cour de récréation.

 

La réaction a été nettement plus vive, quelques mois plus tard, lorsqu'une lourde boule de pétanque, projetée par-dessus le muret de protection de trois mètres, est tombée à côté d'une fillette d'une dizaine d'années.

La police et la mairie ont été alertées. Tandis que l'enquête suivait son cours, des agents ont été postés chaque matin près de l'établissement scolaire et les rondes dans le cinquième arrondissement de la capitale ont été modifiées pour coïncider avec les périodes de récréation.

Pour éviter toute récidive, les autorités ont évoqué la possibilité de faire installer une caméra de surveillance dans la rue. Une représentante des parents de l'école, Anne-Christelle Pilo, s'est opposée avec acharnement à cette solution.

«Tant la police que la mairie disaient que ces caméras ne sont pas dérangeantes pour les gens qui n'ont rien à se reprocher... Mais je ne veux pas qu'il y ait des caméras partout, dans toutes les rues. Je veux pouvoir marcher là et ailleurs sans être filmée», souligne en entrevue la mère de 39 ans.

Le projet a finalement été mis au rancart après qu'un adolescent turbulent, sans lien avec les lanceurs de pétards, eut avoué être responsable de l'incident de la boule de pétanque.

«Les autorités ont décidé que ça ne valait pas la peine de sortir l'artillerie lourde pour un truc qui était fini», résume Mme Pilo, qui s'attriste de constater que ses interlocuteurs semblaient peu sensibles à l'impact potentiel des caméras sur les droits et libertés de la population.

Ils ne sont pas les seuls en France, par les temps qui courent, à se laisser tenter par la vidéosurveillance. La commission nationale Informatique et libertés (CNIL), qui supervise l'installation de caméras dans le secteur privé, dit avoir reçu 1400 demandes préalables l'année dernière. Et le nombre de plaintes émanant du milieu du travail ne cesse d'augmenter.

Le président, Alex Turk, réclame l'extension de la juridiction de la CNIL aux caméras placées sur la voie publique, une responsabilité actuellement dévolue aux préfets.

Le gouvernement songe plutôt à confier ce rôle à la Commission nationale de la vidéosurveillance, qui joue paradoxalement un rôle de promoteur pour cette technologie.

Bien que les études soient plus qu'incertaines quant à son impact sur la criminalité, la ministre de l'Intérieur, Michèle Alliot-Marie, ne jure que par la vidéosurveillance. Elle a annoncé son intention de tripler le nombre de caméras installées sur la voie publique d'ici à 2010, ce qui fera passer le total de 20 000 à 60 000.

Lors d'une conférence européenne sur la lutte contre la délinquance la semaine dernière, la «dame de fer» française a décrit les caméras comme un «outil de prévention, de dissuasion et d'élucidation» qui prouve «quotidiennement» son efficacité.

Les plans du gouvernement horripilent Anne-Christelle Pilo, qui ne comprend pas pourquoi la population française se montre aussi apathique à ce sujet. «On regarde les États-Unis en rigolant lorsqu'il est question d'une bibliothèque qui a voulu censurer des livres. Mais on laisse passer chez nous des lois liberticides délirantes sans rien dire. C'est déplorable.»

 

Big Brother en panne

La Grande-Bretagne est sans conteste la Mecque de la vidéosurveillance, avec plus de 4,2 millions de caméras en service à l'échelle du pays. Le ministère de l'Intérieur se félicite que chaque citoyen puisse, en moyenne, être filmé 300 fois par jour. Les résultats, en matière de lutte contre la délinquance, sont loin d'être concluants. Une étude gouvernementale prévenait déjà en 2005 que l'impact sur la criminalité était «marginal». Un haut responsable de Scotland Yard, parlant de «véritable fiasco», a récemment déclaré que 3% seulement des crimes étaient résolus avec cette technologie.