Machinations politiques, espionnage et institutions financières complexes sont les ingrédients d'un procès haut en couleur qui se tiendra en 2009 en France, avec pour vedette l'ex-Premier ministre Dominique de Villepin, accusé d'avoir voulu déstabiliser Nicolas Sarkozy.

Les juges Jean-Marie d'Huy et Henri Pons ont signé mardi soir une ordonnance de renvoi de M. de Villepin devant le tribunal correctionnel, mettant un terme à quatre ans d'instruction d'un dossier de dénonciation calomnieuse, devenu affaire d'Etat.

M. de Villepin, inculpé le 27 juillet 2007 pour «complicité de dénonciation calomnieuse, complicité d'usage de faux, recel de vol et recel d'abus de confiance», sera jugé pour l'ensemble de ces chefs.

L'affaire, qui a éclaté en 2004, avait pour but de discréditer plusieurs personnalités censées avoir touché des pots-de-vins, via la société financière luxembourgeoise Clearstream, à l'occasion de la vente de frégates françaises à Taïwan en 1991.

Leurs noms figuraient sur de faux listings de titulaires de comptes chez Clearstream, sur lesquels des pots-de-vin auraient été versés. En renvoyant M. de Villepin en correctionnelle, les magistrats le soupçonnent d'avoir voulu faire passer M. Sarkozy pour le titulaire d'un de ces comptes, avec la volonté de le déstabiliser dans la course à la présidentielle de 2007.

Les deux hommes appartenaient alors au même gouvernement, sous la présidence de Jacques Chirac. Dominique de Villepin a été ministre des Affaires étrangères, puis ministre de l'Intérieur avant d'être Premier ministre.

Quatre autres protagonistes de l'affaire sont également renvoyés en correctionnelle: l'ancien vice-président d'EADS Jean-Louis Gergorin, qui a reconnu avoir adressé les faux-listings à la justice, et l'informaticien Imad Lahoud, soupçonné de les avoir confectionnés. Il y a aussi un ancien auditeur de la société Arthur-Andersen, Florian Bourges, et le journaliste Denis Robert, soupçonnés d'avoir été en possession des listings à l'origine de la falsification.

Aucun des prévenus n'a la possibilité de faire appel de cette ordonnance de renvoi. L'ex-Premier ministre peut saisir la Cour de Justice de la République (CJR) s'il estime que les faits qui lui sont reprochés sont liés à ses anciennes fonctions ministérielles.

M. Villepin, qui est apparu après l'élection de Nicolas Sarkozy en 2007 comme une des rares personnalités de droite à dénoncer sa politique, a immédiatement dénoncé «l'instrumentalisation» de la justice.

«Tout au long de l'instruction, la vérité des faits et du droit a été détournée au profit d'une seule partie civile qui est en même temps aujourd'hui président de la République», a-t-il observé.

L'Elysée s'est refusé mercredi à faire le moindre commentaire.

Depuis le début de l'instruction, M. de Villepin, dont les bureaux et le domicile ont été perquisitionnés, a assuré avoir seulement voulu protéger les intérêts du pays, alors qu'il a été mis en cause par plusieurs protagonistes de l'affaire.

Il semble en tout cas qu'il ait commandité des enquêtes parallèles, hors de tout cadre judiciaire. Il a en particulier utilisé les services d'un des grands espions français, le général Philippe Rondot, pour effectuer des vérifications sur ces listings.

Il aurait aussi poussé le «corbeau», son ami Jean-Louis Gergorin, ancien vice-président du groupe européen d'aéronautique et de défense EADS, à adresser anonymement les listings à la justice pour que les «coupables» soient démasqués.

Pour le parquet, M. de Villepin avait à partir de juillet 2004 eu connaissance d'éléments suffisants montrant la falsification des listings. En omettant de dénoncer les faits à la justice, il s'est rendu «par son inaction» coupable de «complicité de dénonciation calomnieuse».