Sûre d'elle à « 100 % » malgré sa voix tremblante, l'universitaire Christine Blasey Ford a accusé jeudi, en public et sous serment, le candidat de Donald Trump à la Cour suprême d'avoir tenté de la violer en 1982.

Lors de son audition au Sénat, retransmise en direct sur des millions d'écrans, la chercheuse en psychologie a alterné les confidences chargées d'émotion et l'analyse quasi-scientifique de son traumatisme

Devant une audience respectueuse, elle a reconnu avoir oublié certains détails de cette soirée d'été entre élèves mais martelé une certitude : Brett Kavanaugh et un de ses amis, tous les deux « ivres », l'ont agressée sexuellement. En rigolant.

Le magistrat conservateur de 53 ans, qui nie catégoriquement, doit être entendu dans la foulée par la commission judiciaire du Sénat. Il joue gros à une époque marquée par une prise de conscience des dommages infligées aux femmes par les violences sexuelles.

Le président Trump a fait savoir qu'il pourrait renoncer à son candidat et lui chercher un remplaçant si Mme Blasey Ford parvenait à le convaincre. Il a regardé l'audience à bord d'Air Force One, lors d'un vol entre New York et Washington.

Or, Christine Blasey Ford a livré un témoignage particulièrement fort.

« Terrifiée » mais habitée par le sens du « devoir », elle est revenue avec une émotion difficilement contenue sur cette soirée de 1982, qui a « radicalement » changé sa vie, à 15 ans seulement.

Selon elle, Brett Kavanaugh et son ami Mark Judge l'ont isolée dans une chambre alors qu'elle se rendait aux toilettes. On l'a poussée sur le lit, le futur juge s'est jetée sur elle, tentant de la déshabiller tout en la touchant partout sur le corps.

« Je croyais qu'il allait me violer. »

« Le rire bruyant des garçons »Lorsqu'elle a tenté de crier, Brett Kavanaugh a voulu l'en empêcher en plaçant sa main sur la bouche. « C'est ce qui a eu l'impact le plus durable sur ma vie », a-t-elle confié. « J'avais du mal à respirer et j'ai cru que Brett allait accidentellement me tuer ».

Questionnée sur la possibilité qu'elle puisse se tromper d'agresseur, la professeure de l'université de Palo Alto en Californie, s'est dite « absolument » sûre qu'il s'agissait bien de Brett Kavanaugh. « A 100 % ».

Un autre souvenir restera « indélébile » : « c'est le rire, le rire bruyant des deux » garçons.

Après une déclaration liminaire, Mme Blasey Ford a été interrogée par des sénateurs démocrates qui ont tous loué son « courage », « source d'inspiration » pour toutes les victimes de violences sexuelles.

« Je vous crois », a d'ores et déjà annoncé le sénateur Richard Blumenthal, en accusant le président Trump d'avoir voulu « étouffer » l'affaire en refusant que le FBI enquête sur ses allégations.

Les républicains, uniquement des hommes au sein de la commission, avaient eux délégué la tâche à une procureure spécialisée dans les affaires de violences sexuelles.

L'objectif était de ne pas reproduire l'effet désastreux d'une précédente audition, en 1991, où une accusatrice d'un précédent candidat à la Cour suprême n'avait été interrogée que par des hommes, sur un ton agressif.

« Gros problème »Cette fois, la procureure, Rachel Mitchell, a multiplié les questions sur ses contacts avec les élus démocrates, sous-entendant qu'elle aurait pu être manipulée. Elle a également souligné les trous dans son récit.

A l'issue des quatre heures d'audience, le sénateur Lindsey Graham restait peu convaincu. « Ses accusations contre Brett Kavanaugh ne sont pas très corroborées. Je ne doute pas qu'il lui soit arrivé quelque chose, mais elle ne peut citer ni la maison, ni la ville, ni le mois. »

L'ancien sénateur républicain Rick Santorum, un ultra-conservateur, a toutefois jugé qu'elle paraissait « sincère ». « C'est un gros problème pour Brett Kavanaugh », a-t-il ajouté sur CNN.

Le juge Kavanaugh semblait il y a encore deux semaines en bonne voie d'obtenir le feu vert du Sénat pour faire son entrée au sein de la Cour suprême, chargée de vérifier la constitutionnalité des lois et d'arbitrer les questions de société les plus épineuses (droit à l'avortement, armes à feu, mariage homosexuel...).

Son image de conservateur, bon père de famille, a été sérieusement écornée par le témoignage de Mme Blasey Ford et de deux autres femmes sorties de l'ombre dans la foulée.

Une ancienne camarade du juge, Deborah Ramirez, 53 ans, l'a accusé dimanche d'avoir exhibé son sexe près de son visage lors d'une soirée arrosée à l'université de Yale.

Mercredi, Julie Swetnick, une fonctionnaire fédérale, a accusé Brett Kavanaugh et Mark Judge d'avoir lors de soirées arrosées « tenter de soûler et de désorienter les filles à un point qu'elles pouvaient être violées en réunion ». Elle s'est dite elle-même victime d'un viol collectif, alors que les deux amis « étaient présents ».

PHOTO Cliff Owen, AP

Les premiers manifestants se sont rassemblés jeudi matin avant la double audition sur la colline du Capitole pour appuyer Christine Blasey Ford.