Pour les militants bénévoles qui leur viennent en aide, tenter de tirer profit des situations humaines souvent dramatiques des migrants est «répugnant». Mais au Texas, l'immigration clandestine est aussi une activité économique juteuse pour les prisons privées, les usuriers ou autres avocats sans scrupule.

Le grand État du sud des États-Unis est au coeur de la crise née de la politique de «tolérance zéro» du président Donald Trump, qui a provoqué la séparation de plus de 2300 enfants de leurs parents arrêtés après avoir franchi la frontière américaine.

Plus des deux tiers des arrestations de sans-papiers ont lieu au Texas, frontalier du Mexique. C'est donc là que se trouve une grande partie des centres de détention pour migrants du pays.

À sa construction en 1983, celui de Houston était la première prison privée de l'histoire moderne des États-Unis. Ses propriétaires, CoreCivic (ex-Corrections Corporation of America) et GEO Group, sont les deux plus grosses entreprises pénitentiaires du pays, toutes deux cotées en bourse.

CoreCivic exploite au Texas quatre centres de détention sous contrat avec l'autorité fédérale de l'immigration et des douanes, tandis que GEO en gère trois autres, plus un quatrième en construction. Au niveau national, les deux groupes ont affiché en 2017 des chiffres d'affaires cumulés de quatre milliards de dollars.

Lobbying

«Nous apprécions énormément la confiance que l'autorité de l'immigration et des douanes continue de nous manifester», affirmait l'an dernier le président de GEO George Zoley en annonçant un nouveau contrat pour un montant de 110 millions de dollars avec le gouvernement fédéral.

Selon le think tank In The Public Interest, une telle privatisation du système pénal pousse ses acteurs à promouvoir l'incarcération massive y compris pour des délits mineurs, comme l'entrée illégale sur le territoire.

Ensemble, les deux groupes pénitentiaires «ont dépensé plus de dix millions de dollars en soutien à des candidats politiques et près de 25 millions en lobbying depuis 1989», souligne ce groupe de recherche dans un récent rapport.

«C'est une industrie qui fait pression en faveur de peines plus longues» et «plus sévères, car à chaque fois qu'un lit est occupé, elle gagne de l'argent», explique à l'AFP l'avocate spécialiste des migrations Jodi Goodwin, bénévole pour l'ONG Migrant Center for Human Rights.

«C'est dégoûtant, c'est répugnant», lâche-t-elle.

La polémique autour de la séparation des familles a aussi mis en lumière le rôle des centres, également exploités par des opérateurs privés, où ont été placés les enfants retirés à leurs parents à la frontière.

Selon le site d'informations Texas Tribune, il y a 31 centres de rétention pour mineurs dans cet État, dont les plus controversés sont ceux de Southwest Key Programs qui, selon Bloomberg, recevra plus de 450 millions de dollars du gouvernement cette année. Sous contrat avec le Bureau fédéral pour la réinstallation des réfugiés, ces «refuges» ont parfois été accusés de maltraitance, notamment le plus grand, nommé «Casa Padre», installé dans un ancien hypermarché Walmart et qui accueille plus de 1400 garçons.

Mais toutes ces sociétés florissantes ne sont pas les seules à tirer profit de l'immigration clandestine.

Plus cher pour les migrants

«C'est une industrie, et elle est en pleine croissance», dit à l'AFP l'économiste William Glade, de l'Université du Texas. «Notre système judiciaire est riche en opportunités pour les avocats» et d'autres professions, «et ils ne vont pas se priver de les exploiter et de les faire perdurer», ajoute-t-il.

Les migrants sont centraux dans l'économie des villes poussiéreuses qui jalonnent la frontière inhospitalière entre le Texas et le Mexique, comme McAllen, Hidalgo ou El Paso: les cabinets privés d'avocats spécialisés dans l'immigration et les sociétés de crédit qui octroient des prêts en échange d'une simple signature jouxtent les magasins de bottes de cow-boy et les lecteurs de tarots.

Le centre d'El Paso a ainsi vu la multiplication de sociétés qui prêtent de l'argent aux détenus incapables de payer la caution fixée par le juge pour être libérés en attendant le traitement de leur dossier.

Pour les crimes de droit commun, leur commission est normalement de 10 % du montant de la caution. Mais s'agissant des sans-papiers, le prix s'envole: Lachica Bonds facture par exemple 20 % du montant de la caution pour les étrangers accusés d'être entrés illégalement aux États-Unis, plus 500 dollars de frais de dossier.

Un commerce rémunérateur, puisque «la plupart des cautions sont comprises entre 10 000 et 15 000 dollars», voire «25 000 pour un cas que je suis actuellement en train de traiter», rapporte à l'AFP un employé sous couvert d'anonymat.

Une fois libérés, les migrants doivent porter des bracelets électroniques, vendus aux autorités par BI Incorporated, une filiale de GEO Group. Interrogés par l'AFP, ses employés à El Paso ont refusé de communiquer le prix d'un bracelet électronique.