Pour la vaste majorité des Américains, le programme des prisons secrètes de la CIA qui a mené à l'enlèvement et à la torture de dizaines de présumés terroristes dans les années ayant suivi les attentats du 11 septembre 2001 n'est plus qu'un lointain souvenir.

Il en va tout autrement pour un groupe de résidants de la Caroline du Nord qui continuent avec détermination de lutter pour faire en sorte que les responsables de ces exactions soient contraints de rendre des comptes.

« C'est vrai qu'il y a eu beaucoup d'oubli et de déni. Les Américains vivent de la dissonance cognitive lorsqu'ils apprennent que leur gouvernement, prétendument fondé sur le respect des droits de la personne, a pratiqué la torture. Ces deux éléments ne sont pas conciliables et l'un d'eux doit disparaître de leur esprit », relève en entrevue Christina Cowger.

La militante de 60 ans, membre de North Carolina Stop Torture Now, note qu'elle a décidé de s'investir dans cette cause après avoir appris qu'une firme dont le siège social est dans son État, Aero Contractors, avait manoeuvré des appareils utilisés par la CIA pour déplacer les personnes enlevées.

Mme Cowger considérait comme « scandaleux » que les services de renseignements américains se livrent à de telles pratiques, mais son indignation a monté d'un cran quand elle a appris qu'une partie du programme trouvait son origine « à une demi-heure de sa maison ».

Après que le New York Times eut révélé en 2005 le rôle d'Aero Contractors et l'utilisation de deux aéroports de la Caroline du Nord, la chercheuse en agriculture et plusieurs autres personnes ont organisé une manifestation contre l'entreprise. La plupart ont été arrêtées.

« On s'est rapidement rendu compte qu'une seule action ne suffirait pas », relate Mme Cowger, en évoquant la création du groupe.

Commission d'enquête citoyenne

À titre de membre de l'organisation, elle a notamment contacté en 2010 plusieurs victimes du programme américain pour leur transmettre une lettre d'appui.

La plupart trouvaient réconfortant, dit-elle, de savoir que des Américains étaient déterminés à défendre les principes fondateurs du pays et entendaient continuer à lutter pour obtenir des réponses malgré les refus répétés des autorités.

Plusieurs de ces anciennes victimes ont été entendues l'année dernière par les membres d'une commission d'enquête citoyenne qui doit déposer en septembre un rapport exhaustif sur le programme de la CIA et ses ramifications en Caroline du Nord.

Les militants espéraient que l'administration de Barack Obama, après avoir remplacé l'équipe de George W. Bush, ferait toute la lumière sur la question, mais le politicien a annoncé qu'il fallait « aller de l'avant » plutôt que d'explorer le passé.

Durant son second mandat, un rapport fracassant du Sénat portant sur les exactions vécues par les prisonniers de la CIA a été rendu public, mais il n'a pas mené à des sanctions.

Le successeur de Barack Obama, Donald Trump, semble peu susceptible de rectifier le tir puisqu'il a déjà défendu le recours à la torture et qu'il vient de désigner à la tête de l'agence de renseignements une des principales responsables du programme des prisons secrètes, Gina Hospel.

Cette décision, juge Christina Cowger, vise à « glorifier l'épisode » plutôt que de présenter des excuses aux victimes et constitue, à ce titre, une indication inquiétante de ce qui pourrait arriver dans l'avenir.

Il n'est pas impossible, dit-elle, que les services de renseignements américains cherchent ultimement à relancer le programme avec l'assentiment du nouveau chef d'État.

Aero Contractors, qui reste discrète sur la nature de ses activités, pourrait alors reprendre du service auprès de la CIA, s'inquiète Mme Cowger.

Vers la Cour pénale internationale?

La militante estime que la responsabilité de désigner les responsables des exactions survenues dans le cadre du programme de l'agence de renseignements pourrait ultimement échoir à la Cour pénale internationale si les élus américains persistent à ne pas vouloir s'en occuper.

Ce serait un développement « très positif » que la procureure générale du tribunal se penche sur ce qui est arrivé, relève Mme Cowger, qui ne s'attend pas à un changement de cap prochain des camps démocrate et républicain sur cette question.

« Il semble y avoir un consensus bipartite voulant que la torture soit parfois nécessaire », déplore-t-elle.