«J'aurais mieux fait d'être cowboy» dit le panneau de Mark Lienney, 57 ans à la large carrure venu dire «ça suffit» devant le capitole de l'État d'Oklahoma.

«Nous sommes prêts à rester jusqu'à l'été s'il le faut», assure Larry Cagle, professeur d'anglais et l'un des meneurs de manifestations exceptionnelles dans cet État du centre du pays, comme ailleurs aux États-Unis, où les enseignants dénoncent un manque criant de moyens.

Des milliers d'enseignants de l'école publique, soutenus par des collégiens, lycéens et parents, ont manifesté mercredi pour la troisième journée devant le capitole de la capitale de l'Oklahoma. «Continuons!», criaient plusieurs centaines de personnes en marge d'une séance parlementaire.

Les professeurs de cet État rural et pétrolier sont parmi les moins bien payés du pays avec des salaires démarrant autour de 31 000 dollars sur lesquels ils doivent payer des impôts et de coûteuses assurances maladie.

Pour survivre, beaucoup doivent cumuler les petits boulots le soir, le week-end ou pendant leurs vacances d'été.

Kelly Lamerton, 28 ans, cumule quatre emplois, dont garderie à l'église et vendeuse de boissons et d'en-cas lors de rencontres sportives. «Je rentre chez moi parfois à 22H00, je n'arrive pas à avoir une nuit de repos complet», déplore cette enseignante de CP au visage doux et aux longs cheveux, qui dit adorer apprendre à lire aux enfants.

Jardiniers, femmes de ménage, chauffeurs d'Uber, vendeurs de supermarchés, serveurs, employés de zoo... L'inventaire des autres métiers des enseignants ressemble à un poème à la Prévert alors que beaucoup détiennent des diplômes de masters, voire des doctorats.

10 000 dollars de hausse

«Nous n'avons pas eu d'augmentation et nos financements ont baissé tous les ans depuis dix ans», s'insurge Larry Cagle. Résultat: des classes toujours plus remplies, des salles vétustes, des professeurs souvent inexpérimentés.

Leur mouvement a obtenu la semaine dernière une hausse de 6000 dollars par an en moyenne par enseignant, une concession qu'ils jugent insuffisante. La gouverneure Mary Fallin les a traités «d'adolescents qui veulent une nouvelle voiture».

Mais ils demandent 10 000 dollars pour arrêter l'exode permanent de professeurs vers les États voisins qui paient 15 000 dollars de plus en moyenne par an à expérience égale. Et, surtout, ils veulent une hausse de 200 millions de dollars du budget pour rénover et équiper les écoles.

Lorsqu'elle est revenue de vacances, Klarissa Brock, 29 ans, a retrouvé sa salle de classe inondée et tout son matériel bon à jeter, à cause de la rupture des canalisations pendant l'hiver rigoureux en Oklahoma: la direction avait coupé le chauffage pour faire des économies.

Un autre professeur décrit des classes de 40 élèves dont une partie doit s'asseoir par terre par manque de pupitres. Mark Lienney, fort de 30 ans d'expérience, dispose de 32 manuels de sciences sociales qui tombent en lambeaux pour 150 élèves, et doit payer de sa poche les photocopies à distribuer aux élèves, raconte-t-il à l'AFP.

Problème national

«Financer l'école ne devrait pas être historique. Ça devrait être normal», dit le panneau de Becky Horton.

Cette professeure de musique de 44 ans achète elle-même le papier à musique et fait financer toutes les activités, sorties et instruments par des collectes de fonds auprès des parents ou d'organismes caritatifs.

L'exaspération dépasse l'Oklahoma et des grèves d'enseignants similaires prennent de l'ampleur dans le Kentucky (centre-est) et l'Arizona (sud-ouest), entraînant la fermeture de centaines d'écoles à travers le pays.

Les manifestants ont été galvanisés par un mouvement de grève en Virginie-Occidentale (est) qui s'est soldé par une augmentation de salaire de 5%.

«Je pense que nous avons le soutien» de la population de l'Oklahoma, confie Larry Cagle.

En témoignent les nombreux coups de klaxon saluant un groupe d'une quinzaine de manifestants installés à un carrefour de Mustang, en banlieue d'Oklahoma City, pour sensibiliser les automobilistes à leur cause.

«C'est un problème national, beaucoup d'États veulent moins de gaspillage de fonds publics, mais le pendule a été trop loin», déplore M. Cagle.

Certains dénoncent aussi l'administration du président républicain Donald Trump qu'ils estiment hostile à l'école publique. La ministre de l'Éducation Betsy DeVos a pris des positions controversées en faveur des écoles privées et celles bénéficiant d'une gestion autonome (Charter School).

«La Virginie-Occidentale, l'Arizona, le Kentucky et l'Oklahoma sont des États conservateurs. Il y a ici un soutien important à Donald Trump, mais les gens ne veulent pas non plus que le système scolaire soit anéanti», a relevé M. Cagle.