Rex Tillerson, ancien capitaine d'industrie discret et avare de ses mots, a quitté mardi le département d'État sans avoir jamais réussi à trouver sa place à la tête de la diplomatie américaine et dans une administration Trump dont les excès semblent aux antipodes de sa personnalité.

C'est nimbé de l'aura d'un homme de pouvoir aux nombreuses connexions internationales qu'il était arrivé au département d'État au début du mandat du président républicain. L'ancien patron du géant pétrolier ExxonMobil avait été recommandé à Donald Trump par Condoleezza Rice, l'ancienne secrétaire d'État de George W. Bush.

Lorsqu'il s'installe à la tête de la diplomatie américaine, il est présenté comme l'un des Américains connaissant le mieux le président russe Vladimir Poutine. L'une des priorités de la nouvelle administration est alors un réchauffement des relations avec le chef du Kremlin. Mais les nombreuses controverses et l'enquête sur les ingérences russes dans l'élection américaine rendront cet objectif impossible à atteindre.

Prônant une diplomatie des réseaux et de l'influence plutôt que de la parole, il prend immédiatement le contre-pied de ses prédécesseurs. Du volubile John Kerry en passant par l'ex-première dame Hillary Clinton, tous étaient des diplomates chevronnés ou dirigeants politiques de premier plan. Sans compte Twitter, il voyage peu et fuit les médias.

Loin des projecteurs

«Je suis nouveau à Washington», a longtemps rappelé de sa voix caverneuse de Texan de 65 ans, pour mieux signifier sa distance par rapport au marigot politicien.

Car son équipe a tenté de transformer ses faiblesses en force. «Ce n'est pas un politique qui recherche les projecteurs», théorisait début octobre 2017 sa porte-parole Heather Nauert. «Contrairement à ses prédécesseurs, le secrétaire d'État pense que la diplomatie doit être menée dans les coulisses», renchérissait-on dans son entourage.

Et en coulisses, comme lorsqu'il négociait des mégacontrats pétroliers, l'homme à l'imposante carrure a tenté de pousser la voie diplomatique dans les crises nord-coréenne, iranienne ou du Golfe.

Rex Tillerson a aussi pu s'appuyer sur une relation étroite avec le ministre de la Défense, son «cher ami» Jim Mattis. «On sait qu'ils communiquent régulièrement» et se partagent les rôles «d'une même stratégie», Tillerson appelant au dialogue et Mattis brandissant l'option militaire, analysait Lisa Collins, du Center for Strategic and International Studies.

D'autres soulignaient aussi sa capacité à donner un vernis raisonné aux sorties tonitruantes du président américain.

«C'est un patriote, il pense vraiment que c'est son rôle de rester pour contrôler le président, éviter le chaos», expliquait un diplomate américain qui n'est pourtant pas de son bord politique.

L'effacement du ministre est aussi perçu comme celui de son ministère.

«Tillerson est un homme bien, il a appris le boulot sur le fond», dit un diplomate étranger. «Le problème, c'est le département d'Etat, devenu totalement dysfonctionnel», avec de nombreux postes de sous-secrétaire restés vacants après des coupes budgétaires inédites.

«La chose la plus importante que je puisse faire est de rendre cette administration plus efficace», estimait-il.

Mais les résultats restent maigres - trop maigres probablement pour Donald Trump, qui s'en est souvent agacé.

Le ministre des Affaires étrangères de la première puissance mondiale n'a en fait jamais convaincu les commentateurs. Résultat: les récits de ses relations tendues avec le président, qu'il a un jour traité de «débile» selon plusieurs médias, et les rumeurs de démission n'ont cessé de l'accompagner.

Dialogue avec Pyongyang

Les divergences de vues entre Trump et Tillerson étaient notoires sur plusieurs dossiers-clés, du climat à l'Iran.

Le milliardaire républicain n'a pas facilité la tâche de Rex Tillerson. D'abord en le privant de l'emblématique dossier israélo-palestinien, confié à son gendre Jared Kushner. Puis, en multipliant les décisions de désengagement de la scène multilatérale. Enfin, en le contredisant en public.

Tillerson vante ses efforts diplomatiques face aux ambitions nucléaires nord-coréennes? Trump promet «le feu et la colère» à Pyongyang.

Le ministre évoque publiquement des canaux de communication avec la Corée du Nord? «Il perd son temps», tweete le président. «Le seul qui compte, c'est moi», finit-il par trancher.

Ironie de l'Histoire, c'est pour mieux préparer les discussions qu'il vient spectaculairement d'accepter d'engager avec Pyongyang que Donald Trump a écarté son secrétaire d'État pour confier ce rôle au patron de la CIA Mike Pompeo, en qui il a toute confiance.

Mardi, en expliquant son départ devant des journalistes, le milliardaire a insisté: «Nous nous entendions bien mais nous avions des désaccords. Quand vous regardez l'accord sur le nucléaire iranien: je pensais qu'il était horrible, il pensait qu'il était OK».