Comme des millions d'autres Floridiens, la soeur de Godfrey Watson pensait avoir pris la bonne décision : en pleine nuit jeudi, pour éviter les bouchons de circulation, elle a quitté sa maison du sud de l'État pour aller rejoindre son frère, près de Tampa, et ainsi échapper à la poigne de l'ouragan Irma.

Arrivée chez son frère, elle se croyait enfin en sécurité, loin de Miami, de Fort Lauderdale et des vents violents. Mais hier, comme les trois millions d'habitants de la région de Tampa, elle a déchanté. Les météorologues pensent maintenant que c'est Tampa, et non Miami, qui risque d'être frappé le plus durement.

Et maintenant, même la maison de Godfrey Watson fait l'objet d'un ordre d'évacuation.

« Elle est venue ici pour découvrir qu'on devait être évacués », a résumé M. Watson, qui riait du côté loufoque de la situation lorsque nous l'avons croisé en après-midi à l'école John M. Sexton, transformée en refuge. La famille Watson s'est donc ravisée : le clan devait dormir hier et cette nuit chez un proche dans une zone moins à risque.

C'est Tampa tout entier qui hier semblait se réveiller aux dangers d'Irma. Les stationnements de l'aéroport étaient pleins à craquer alors que les habitants prenaient les derniers vols pour quitter la ville. L'aéroport a fermé à 20 h pour plusieurs jours, le temps que passe la tempête, qui doit frapper Tampa à partir de cette nuit.

Au comptoir de Hertz, ce n'étaient pas des touristes, mais bien des locaux qui faisaient la file pour louer une voiture et quitter la région. C'était le cas de Joe Smith et de son beau-frère Tim Marks, dont les maisons, situées au bord de l'eau, ont fait l'objet d'un avis d'évacuation hier matin. Ils s'apprêtaient à faire 10 heures de route pour se rendre dans un hôtel de Caroline du Nord.

« Moi, je suis venu laisser mon auto ici pour qu'elle soit en sécurité dans le stationnement de l'aéroport », indiquait pour sa part Tim, un habitant de St. Petersburg.

Il repartait se barricader chez lui au volant d'une voiture de location. « J'ai loué une voiture parce qu'ainsi, c'est elle qui sera détruite par la tempête, et non la mienne. »

SCÉNARIO INHABITUEL

En ville, les rues étaient calmes. La chaleur - une température ressentie de 38 - était accablante. Des habitants barricadaient leur résidence à la hâte. D'autres coupaient des arbres devant leur propriété, de peur qu'ils n'éventrent leur maison.

Tampa n'a pas l'habitude des tempêtes de la trempe d'Irma : la dernière fois que la ville a été frappée de plein fouet par un ouragan, c'était en 1921, alors qu'elle comptait 10 000 habitants. La grande région de Tampa en compte aujourd'hui trois millions.

Les stations-service étaient presque toutes à sec, les pompes emballées dans des pellicules plastiques. La station Racin' Gas, boulevard Park, était l'une des rares encore ouvertes hier après-midi. Les voitures y faisaient la queue.

Dave Hughes est venu remplir le réservoir de sa camionnette avant de se rendre chez son père pour y passer au moins deux nuits. Il venait tout juste de passer chez lui chercher ses dernières affaires, dont les machines à souder qu'il utilise dans le cadre de son travail de mécanicien.

Par la fenêtre du conducteur, accompagné de ses deux gros chiens, Dave Hughes n'a pas caché son inquiétude. Il habite dans le comté de Pinellas, un secteur à l'ouest de Tampa qui pourrait être englouti par les eaux. Sa maison, qui compte de nombreuses baies vitrées, est entourée d'arbres matures. « Elle sera détruite à mon retour, j'en suis certain », a lancé le jeune homme, qui suait à grosses gouttes sous sa casquette.

DORMIR SUR LE SOL À 93 ANS

Le changement de cap d'Irma s'est fait sentir jusque dans les refuges. Ceux-ci étaient encore fermés vendredi. Ils ont été pris d'assaut à leur ouverture hier.

À l'école John M. Sexton, fermée jusqu'à mardi au moins, les salles de classe, la bibliothèque et la cafétéria ont été transformées en dortoir. L'accueil des 867 pensionnaires de fortune est rudimentaire : on fournit le toit et la nourriture, rien d'autre.

La directrice de l'école a été interloquée quand elle a vu arriver des personnes âgées, évacuées de deux foyers, sans sacs de couchage ni matelas. Dans l'urgence du déménagement, personne ne leur avait dit qu'il fallait en apporter.

« Vous savez, ce n'est pas facile de dire à une femme de 93 ans : "Désolée, madame, vous devrez dormir sur le sol ce soir." Non, ce n'est pas facile. Mais vous savez ce qu'on dit sur les refuges ? C'est un canot de sauvetage, pas un bateau de croisière », dit Suzette Burns, directrice de l'école John M. Sexton.

Dans ce canot, pour passer Irma, est arrivée hier une petite famille originaire du Mexique. Aurora Perez, 42 ans, et Hero Cuevaz, 30 ans, ont laissé derrière eux leur maison mobile à Tampa. Ils ont pris leur fils de 21 mois, Zadquiel, rempli le coffre de leur camion de couches et de bouteilles d'eau et sont partis pour le refuge attendre l'ouragan.

« On va rester ici peut-être trois jours. Quand on sortira, il ne restera rien de notre maison. Ça, c'est sûr », se résignait Mme Perez.

Hero Cuevaz déchargeait le camion. Le petit Zadquiel regardait faire son père, souriant, insouciant.

Que vont-ils faire après Irma, s'ils perdent leur toit ? Aurora Perez a levé les épaules : « Je n'en sais rien... »