Tantôt sur le mode de la confidence, tantôt lors d'envolées politiques bien senties, le 47evice-président des États-Unis, Joe Biden, a livré hier à Montréal un discours digne d'une précampagne électorale. Et même sans le nommer, il n'a pas ménagé l'actuel président de son pays, Donald Trump. Faits saillants.

Mise en garde

Numéro deux de l'administration Obama de 2008 à janvier 2017, Joe Biden a lancé plusieurs flèches, hier, à l'endroit de l'actuel occupant du bureau Ovale, dans un discours suivi d'une séance de questions-réponses qui ont duré près de 75 minutes. Il reproche notamment au président actuel son inaction à l'égard de la montée de l'extrême droite. « Je ne pensais jamais en 2017, voir des gens dans un champ porter des torches et des drapeaux nazis, chanter les mêmes slogans qui étaient utilisés dans l'Allemagne nazie. Ou voir des suprémacistes blancs qui attaquent l'essence de ce que nous sommes comme peuple, aux États-Unis et au Canada. Ou encore voir ceux qui protestent contre eux être comparés à eux », a dit M. Biden, en faisant allusion aux commentaires de Donald Trump après les événements de Charlottesville, en août dernier. Selon lui, il est impossible de se taire sur le sujet. « Le silence est de la complicité. La démocratie n'est pas garantie », a dit le politicien américain sur un ton grave. Hier, le président américain s'est retrouvé au coeur d'une controverse avec le Royaume-Uni après avoir republié sur Twitter des vidéos fournies par l'extrême droite (voir l'écran 17).

Candidat en 2020 ?

S'il n'a pas confirmé qu'il comptait se lancer dans la course à la Maison-Blanche en 2020, Joe Biden n'a pas écarté cette possibilité non plus. Avec une certaine émotion dans la voix, il a raconté qu'il s'était préparé à briguer la présidence en 2016, avait mis sur pied une équipe de campagne, mais que la mort de son fils Beau, emporté par un cancer du cerveau en 2015 à l'âge de 46 ans, a eu raison de ses plans. « Aucun homme ou aucune femme ne peut se présenter à la présidence s'il n'est pas prêt à donner toute son attention » à la fonction, a-t-il dit. Avant de mourir, son fils lui a demandé de continuer à servir son pays en « faisant les choses qui [lui] tiennent à coeur », a dit Joe Biden, qui est à la tête d'une fondation et de deux instituts d'études en politiques publiques et en politique étrangère depuis qu'il a quitté la Maison-Blanche. En plus de donner des conférences sur le leadership, comme celle d'hier à Montréal, il fait aussi une tournée des États-Unis pour promouvoir son dernier livre, Promise Me, Dad. Plusieurs observateurs de la politique américaine y voient l'ébauche d'une campagne électorale.

Le poids des décisions

M. Biden a raconté plusieurs anecdotes, hier, sur ses années à la Maison-Blanche, notamment au sujet du président Barack Obama, dont il est toujours un ami très proche. Il est notamment revenu sur le moment où le président a décidé d'attaquer un complexe à Abbotabad, au Pakistan, avec 70 % de certitude qu'Oussama ben Laden s'y trouvait. Avant de lancer l'attaque, Barack Obama, qui avait écouté les avis de 16 personnes, a demandé l'opinion de son vice-président. « Je lui ai dit de faire confiance à son instinct. S'il [avait lancé l'attaque] et qu'il avait échoué, sa carrière était terminée », a raconté M. Biden, en affirmant que le leadership doit être accompagné par le courage de subir les conséquences de ses actions. « Les décisions difficiles sont basées sur le jugement, l'expérience, mais aussi l'acceptation du fait qu'il est possible de tout perdre », a souligné Joe Biden, louant l'intelligence et la détermination de Barack Obama.

La violence contre les femmes

L'ancien sénateur du Delaware a profité de son passage sur scène pour faire un parallèle entre le travail qu'il a accompli au Congrès afin de faire adopter une loi s'attaquant à la violence contre les femmes en 1994 et les récentes dénonciations d'agressions et de harcèlement sexuels qui ont secoué autant Hollywood que Washington. « Pas un seul homme n'a le droit de lever la main sur une femme pour quelque raison que ce soit, sauf pour se défendre », a dit Joe Biden.

Il a rappelé qu'il y a 23 ans, quand il a demandé à des femmes de témoigner sur la violence dont elles étaient victimes, ces dernières ont été ridiculisées. Il dit avoir lui-même été accusé d'être à la tête « d'un camp d'endoctrinement de féministes ». Aujourd'hui, il estime que le jeu en valait la chandelle. « Parfois, pour changer une culture, il faut être prêt à être ridiculisé », a noté M. Biden.

À sa manière, il répondait du coup aux critiques d'Anita Hill, une avocate qui a accusé en 1991 le juge Clarence Thomas de harcèlement sexuel avant que ce dernier ne soit nommé à la Cour suprême. Mme Hill a dit au Washington Post cette semaine que Joe Biden n'avait pas fait tout le nécessaire pour protéger les victimes qui ont témoigné devant lui à l'époque.

Rencontre avec Valérie Plante

Après le discours qu'il a prononcé au Palais des congrès devant plusieurs centaines de personnes qui assistaient à une conférence d'affaires intitulée The Art of Leadership (L'art du leadership), Joe Biden a eu un entretien privé avec la mairesse de Montréal, Valérie Plante. Juste avant son tête-à-tête, cette dernière s'est dite « touchée » par le discours de l'ancien vice-président, qui n'a pas hésité à parler de sa vie personnelle et des obstacles qu'il a dû surmonter en 45 ans de carrière politique. « C'est clairement un homme dans lequel les Américains peuvent voir un grand leader, autant par son expérience - il a servi huit présidents américains - que par son analyse », a dit Mme Plante hier soir.

Photo Olivier Pontbriand, La Presse

Valérie Plante était présente au Palais des congrès hier pour assister à la conférence d'affaires de Joe Biden et s'entretenir en privé avec l'ex-vice-président des États-Unis.