Quatre chiffres illustrent la poigne de fer qu'exerce le président Donald Trump sur le Parti républicain, ce qui lui permet d'écraser toute dissidence interne et d'envoyer en exil des détracteurs comme le sénateur Jeff Flake.

Ces chiffres sont enfouis dans un nouveau sondage dont les résultats ont été dévoilés quelques heures seulement avant que le nouveau sénateur de l'Arizona, qui n'aura effectué qu'un seul mandat, annonce subitement sa démission et se demande ouvertement si le parti a toujours une place pour des conservateurs comme lui.

L'attaque en règle lancée par M. Flake s'est poursuivie mercredi avec la publication par plusieurs quotidiens d'une lettre ouverte intitulée «Enough» (Assez), qui met en garde contre une gangrène du système politique et qui demande à la population de se tenir debout comme elle l'avait fait face au démagogue Joseph McCarthy.

«Neuf mois (de cette administration) sont plus que suffisants pour que nous disions à voix haute: assez, écrit M. Flake. Nous ne pouvons plus garder le silence, à simplement observer le déraillement de ce train, passivement, comme si nous attendions l'intervention de quelqu'un d'autre. Plus nous attendons, plus grands seront les dégâts, plus l'Histoire nous jugera durement.»

Mais M. Flake est essentiellement seul dans son coin, car les élus républicains qui osent dénoncer le président sur la place publique sont rares.

Si on veut comprendre pourquoi, on peut éplucher la gigantesque enquête dévoilée par Pew Research quelques heures seulement avant son discours sur le plancher du Sénat. Effectué auprès de 5000 personnes tous les trois ans, le sondage permet de croire que le président Trump est parfaitement en contrôle de son parti.

L'enquête divise les électeurs américains en neuf catégories: quatre sont favorables aux républicains, quatre aux démocrates, et la dernière n'a aucun intérêt pour la politique. Dans les quatre catégories républicaines, le taux d'approbation du président va de 63 % à 93 %.

Le quatrième groupe, qui forme le «coeur» des partisans républicains, exerce une influence démesurée sur le parti: essentiellement formé d'hommes bien nantis, il ne représente que 13 % de la population et 31 % de tous les Républicains, mais il génère 43 % des Républicains qui sont politiquement actifs. C'est au sein de ce sous-groupe que le président Trump obtient un taux d'approbation de 93 %.

Ceux qui osent contester le président Trump en public sont habituellement ceux qui ont choisi de ne pas affronter cet électorat en novembre prochain.

Le sénateur Bob Corker a choisi de quitter; il accuse maintenant le président d'instabilité et prévient qu'il mène le pays vers la Troisième Guerre mondiale.

John McCain, qui lutte contre le cancer, a prononcé la semaine dernière un discours dans lequel il ridiculisait le protectionnisme et le nationalisme mou de M. Trump.

M. Flake compte parmi les rares sénateurs qui osent exprimer à voix haute ce que les autres marmonnent en privé.

Mais le jeune sénateur a maintenant décidé de quitter, au moment où les sondages le placent loin derrière et qu'il se dirigerait vraisemblablement vers une défaite humiliante lors d'une élection primaire. Au moment d'annoncer sa retraite, M. Flake a dénoncé ce qu'il a appelé le comportement insouciant, anormal et non-américain de M. Trump.

«(M. Flake) supplie ses collègues de sortir de l'ombre, explique le politologue David Lublin. On voit un sénateur de premier plan dire que le président de son propre parti menace la démocratie.»

La plupart des autres élus républicains, poursuit M. Lublin, ont l'agilité d'un acrobate quand vient le temps de discuter du comportement de M. Trump: «Ils vont détourner la conversation vers ce dont ils veulent parler, ou raconter que les démocrates sont encore pires».

Cette acrobatie a été étalée au grand jour après le discours d'adieu de M. Flake. Voici la réponse de son ami, le membre de la Chambre des représentants Duncan Hunter, quand la chaîne CNN lui a demandé s'il est d'accord avec M. Flake, qui affirme que M. Trump est un mauvais exemple pour les enfants: «Je pense qu'il est un bon exemple dans le monde des affaires et depuis qu'il est président des États-Unis, mais je ne voudrais pas que mes filles parlent comme lui, non, ou même mon fils - mais je ne suis probablement pas un bon exemple moi non plus. Nous avons tous des passés et des avenirs. Mais non je ne voudrais pas que mes enfants parlent comme lui - disons ça comme ça.»