Parler ou pas avec la Corée du Nord? La question divise l'administration américaine et met en position délicate le chef de la diplomatie Rex Tillerson, publiquement rabroué par Donald Trump pour avoir évoqué des «canaux de communication».

Lors d'un déplacement à Pékin, le secrétaire d'État a confirmé samedi que les États-Unis avaient «deux ou trois canaux» directs «ouverts» avec Pyongyang pour «sonder» la volonté du régime de Kim Jong-Un d'engager des discussions plus formelles sur son programme nucléaire dénoncé par la communauté internationale.

«Nous leur parlons», «nous posons des questions», a-t-il dit.

Le président américain n'a pas apprécié. «J'ai dit à Rex Tillerson, notre merveilleux secrétaire d'État, qu'il perd son temps à négocier», a lancé dimanche M. Trump sur Twitter. «Conserve ton énergie Rex, nous ferons ce que nous devons faire», a ajouté celui qui a plusieurs fois brandi l'option militaire dans cette crise.

Et la Maison-Blanche a réaffirmé lundi que l'heure n'était «pas au dialogue». Le sort des trois Américains détenus en Corée du Nord serait «la seule raison d'avoir des discussions avec eux pour l'instant», a ajouté la présidence, tout en assurant que M. Tillerson conservait la confiance de Donald Trump.

Ce n'est pas la première fois que le président complique la tâche de l'ex-patron du géant pétrolier ExxonMobil, venu à la diplomatie à sa demande. Cet été déjà, en promettant «le feu et la colère» à Pyongyang, il avait relégué à l'arrière-plan les efforts du très discret secrétaire d'État pour accroître l'isolement de Kim Jong-Un.

Le département d'État doit donc à nouveau déminer la situation, alors que les rumeurs d'un départ du chef de la diplomatie sont récurrentes.

«Tout le monde est d'accord sur la stratégie», «il n'y a pas de crise entre le président et le secrétaire d'État», a déclaré lundi à l'AFP le conseiller de Rex Tillerson pour les affaires publiques, R.C. Hammond.

Selon lui, le tweet présidentiel doit être interprété comme une «marque de scepticisme quant au fait que les Nord-Coréens puissent changer d'attitude», «pas comme une marque de scepticisme à l'égard de la stratégie de Rex Tillerson».

L'entourage du ministre a aussi tenté de relativiser son message. «Les seuls canaux de communication dont le secrétaire d'État a parlé sont ceux qui sont ouverts pour tenter de libérer les ressortissants américains», a même insisté lundi auprès de l'AFP M. Hammond, semblant devancer les éléments de langage de la Maison-Blanche.

Message brouillé

L'existence de contacts informels n'était pas un secret à Washington.

«Le principal est le «canal new-yorkais», qui passe par la mission diplomatique nord-coréenne aux Nations unies», explique Jim Schoff, du groupe de réflexion Carnegie Endowment for International Peace.

L'émissaire américain pour la Corée du Nord Joseph Yun l'a utilisé notamment pour obtenir le rapatriement de l'étudiant Otto Warmbier, détenu par Pyongyang et mort en juin peu après son retour, dans le coma, aux États-Unis.

«Il semble y avoir eu plusieurs tentatives ces derniers mois, à travers ce canal, pour tenter d'engager un dialogue sur les trois Américains toujours détenus en Corée du Nord, et pour exprimer notre ouverture à discuter de la dénucléarisation», poursuit ce chercheur, soulignant que ces contacts ont pour l'instant échoué.

Un autre canal de communication passerait, selon lui, par les ambassades des deux pays à Pékin.

Plusieurs observateurs estiment que ces échanges en coulisses doivent aussi servir à éviter que la guerre des mots entre Washington et Pyongyang ne vire au conflit armé.

«J'espère qu'il y a des canaux secrets», «il faut absolument faire baisser la température pour éviter un accident», a prévenu la semaine dernière l'ex-secrétaire d'État Madeleine Albright, vantant son expérience: en 2000, elle avait été le plus haut responsable américain en fonctions à se rendre en Corée du Nord.

Si Rex Tillerson a choisi Pékin pour évoquer ces contacts, c'est probablement pour envoyer un message à la Chine, qui demande que la pression internationale exercée sur le régime nord-coréen serve à la recherche d'une solution diplomatique.

Mais ce message est brouillé par l'intervention de Donald Trump.

Cette humiliation publique «nuit à la crédibilité du ministre», déplore Jim Schoff. Pour lui, l'administration a mis au point une stratégie qui comprend «une ouverture au dialogue» en vue de la dénucléarisation de la Corée, et «Trump a lui-même approuvé cette politique».

«Or, elle est mise à mal essentiellement par les tweets de Trump», ajoute-t-il.