Donald Trump semblait avoir rassuré le camp républicain et une partie des Américains avec son premier discours devant le Congrès, mais la bataille ne fait que commencer pour concrétiser des grands chantiers encore mal définis dans leurs détails.

Réagissez sur le blogue de Richard Hétu >>

«C'était un discours très, très fort» a estimé Ted Cruz, ex-rival des primaires, sur MSNBC mercredi matin. «Il était différent du discours d'investiture, et c'est en partie car il a passé six semaines dans la fonction, cela pèse sur une personne».

«Ce président a été élu par des démocrates, par les travailleurs, les chauffeurs de camion, les garagistes, des hommes et des femmes qui ont les mains calleuses. Il s'est adressé à eux hier soir», a ajouté le sénateur du Texas.

«Il s'est très bien débrouillé», a estimé un autre candidat des primaires, Rand Paul, sur Fox News.

Sur un ton mesuré, citant les anciens présidents Lincoln et Eisenhower et la Bible, Donald Trump a développé sa ligne de «l'Amérique d'abord», mais sans prononcer la fameuse formule.

Il a expliqué aux Américains qu'il entendait relancer l'économie et l'industrie, renforcer la défense, lutter contre la délinquance, expulser plus de clandestins jugés dangereux, et abroger la réforme de la couverture-maladie de son prédécesseur.

Il a aussi tendu la main à l'opposition démocrate, reprenant sa promesse d'un programme de grands travaux de 1000 milliards de dollars et de congés familiaux payés.

Les sondages sont positifs: 76% des téléspectateurs interrogés par CBS News/YouGov ont approuvé l'allocution, tandis que 70% des téléspectateurs se sentaient plus optimistes après avoir écouté le président, selon une enquête CNN/ORC.

Et, cerise sur le gâteau pour le milliardaire, Wall Street a ouvert en hausse mercredi, se relançant à des niveaux sans précédent, le Dow Jones dépassant pour la première fois 21 000 points.

«MERCI !», a tweeté mercredi matin Donald Trump, qui compte 25,8 millions d'abonnés sur le réseau social.

Démocrates désarmés

Au Congrès, l'opposition démocrate a été comme désarçonnée. Les élus étaient venus avec la ferme intention d'exprimer leur rejet de la politique du républicain, et beaucoup ont refusé d'applaudir.

Mais ils ont été forcés de prendre acte du changement de ton.

«C'était bien moins sombre que le discours d'investiture. Il a essayé de tendre la main», commentait John Larson, élu du Connecticut. «Mais le diable se niche dans les détails», a-t-il prévenu.

Dans les détails, Donald Trump est effectivement resté suffisamment vague pour que chaque faction politique y trouve son compte.

S'il a tenu bon sur le socle des idées républicaines, son plan d'infrastructures n'est pas au goût des ultra-conservateurs, de même que les crédits d'impôt auxquels il a fait allusion pour aider les Américains à financer leur assurance maladie. En interne, les chefs républicains savent qu'ils n'ont toujours pas de texte de réforme de la santé capable de recueillir une majorité de voix à la Chambre.

Après des années d'austérité, beaucoup craignent un dérapage des finances publiques.

«L'obsession des républicains pour le déficit semble désormais appartenir au passé», s'étonnait l'élu républicain Dana Rohrabacher dans les couloirs du Capitole.

Et ce sont les démocrates qui ont repris le flambeau de la discipline budgétaire.

«Le compte n'y est pas», a dit à l'AFP le sénateur Chris Van Hollen. «Un enfant de 8 ans est capable de se rendre compte qu'on va creuser le déficit de façon énorme si on fait tout ce dont parle le président».

Le chef des démocrates du Sénat, Chuck Schumer, a fait le tour des émissions matinales pour prévenir que son camp ne tomberait pas dans le piège tendu par le locataire de la Maison-Blanche.

«Avec Donald Trump, les discours ne veulent pas dire grand-chose», a dit le sénateur démocrate de New York sur CBS. «Ses discours sont populistes, destinés aux travailleurs qui ont voté pour lui. Mais il gouverne à l'extrême-droite, au profit des groupes d'intérêts».

Désireux de dépeindre le président comme un extrémiste, les démocrates attendaient avec impatience la signature, prévue dans les prochains jours, d'un nouveau décret sur l'immigration, après le blocage par la justice d'un premier décret très controversé fermant les frontières aux ressortissants de sept pays musulmans.

Réforme sur l'immigration ?

Profitant de cette occasion solennelle de redonner une cohérence à son action après un premier mois chaotique au pouvoir, Donald Trump a longuement promis une extrême fermeté aux frontières, l'un de ses principaux thèmes de campagne.

«En appliquant enfin nos lois sur l'immigration, nous augmenterons les salaires, aiderons les chômeurs, économiserons des milliards de dollars et renforcerons la sécurité de nos communautés», a lancé le président qui avait invité deux veuves de policiers californiens tués en 2014 par un clandestin.

Sans aborder directement la question de la régularisation des sans-papiers, il a évoqué une réforme législative et proposé d'abandonner le système actuel et d'adopter à la place «un système basé sur le mérite».

Le président républicain a annoncé la création d'un bureau spécial pour les victimes de crimes «d'immigration» baptisé VOICE (Victims Of Immigration Crime Engagement). «Nous donnons une voix à ceux qui sont ignorés par les médias et réduits au silence par les intérêts particuliers».

La signature d'un nouveau décret sur l'immigration après l'échec du premier qui a été bloqué par la justice, pourrait d'ailleurs intervenir dans les jours qui viennent.

Très attendu sur l'économie, Donald Trump, qui avait délaissé sa célèbre cravate rouge pour une à rayures, a promis devant les élus une réforme fiscale «historique» qui se traduira par une baisse «massive» des impôts pour la classe moyenne et permettrait aux entreprises de «concurrencer n'importe qui».

«Nous devons faire en sorte qu'il soit plus facile pour nos entreprises de faire des affaires aux États-Unis et plus difficile pour elles de partir», a-t-il martelé.

«Comment va-t-il payer ?»

Proposant un vaste plan d'investissements dans les infrastructures, qui devait se heurter à l'opposition de nombre d'élus républicains, il a déploré que son pays ait dépensé «des milliards et des milliards de dollars à l'étranger».

Chuck Schumer, chef des démocrates du Sénat et visage de l'opposition, a dénoncé une rhétorique «populiste»: «Il y a un décalage complet entre ce que le président dit aux travailleurs et ce qu'il fait pour les riches».

«Il y a des choses que l'on pourrait vraiment saluer. Mais comment va-t-il payer tout ça? On ne me l'a fait pas à moi», a dit à l'AFP Gwen Moore, une élue démocrate, vêtue de blanc.

Dans ce discours servant aussi de prélude à la bataille pour le budget 2018 qui s'ouvre au Congrès, Donald Trump a demandé aux élus de voter la hausse historique des dépenses militaires qu'il appelle de ses voeux (54 milliards de dollars, soit près de 10 %).

Mais déjà, la requête de couper les crédits de la diplomatie et de l'aide internationale de plus d'un tiers a reçu une fin de non-recevoir de plusieurs responsables républicains.

Les républicains, pour la première fois depuis 2006, contrôlent à la fois la Maison-Blanche et le Congrès, et leur feuille de route est remplie, avec des réformes de la santé et des impôts en 2017.

«C'est un moment qui n'arrive qu'une fois toutes les générations», s'est félicité Paul Ryan, le président de la Chambre des représentants. Mais la majorité et le président ne voient pas tout du même oeil, particulièrement sur le remplacement de la réforme de la couverture-maladie «Obamacare».

Sur les affaires étrangères qu'il a abordées très brièvement, le nouveau locataire de la Maison-Blanche a réaffirmé que son rôle n'était pas «de représenter le monde, mais de représenter les États-Unis d'Amérique».

Mais, après avoir défendu une spectaculaire hausse des crédits militaires, il a aussi mis en avant un ton plutôt conciliant. «Nous voulons l'harmonie et la stabilité, pas des guerres et des conflits», a-t-il martelé, réaffirmant en particulier son attachement à l'OTAN.

«Le temps des combats futiles est derrière nous», a conclu le président républicain, dans une volonté de rassembler un pays profondément divisé.

«Voilà notre vision, voilà notre mission, mais le seul moyen d'y arriver est d'être rassemblés», a ajouté le milliardaire septuagénaire dont la cote de popularité est historiquement basse par rapport à ses prédécesseurs au début de leur mandat.