Deux moments heureux ressortent de cette première année de liberté dont profite Ramona Brant après 21 ans d'emprisonnement. Le premier est survenu le 2 février 2016. Ce jour-là, cette mère de deux garçons devenus hommes pendant qu'elle purgeait une peine à perpétuité a été libérée.

L'autre s'est produit le 30 mars 2016 lorsqu'elle s'est retrouvée à la droite de Barack Obama à l'occasion d'un lunch auquel avaient été conviées six autres personnes ayant reçu la clémence d'un président.

« Cela a été le moment le plus excitant depuis ma remise en liberté, à part celui où j'ai été accueillie par les membres de ma famille en sortant de prison, où j'ai été capable de les toucher, de les serrer dans mes bras, sans être limitée ou avertie de ne pas les enlacer trop longtemps », a raconté à La Presse Ramona Brant, aujourd'hui âgée de 53 ans, au cours d'un entretien téléphonique.

En faisant allusion à sa rencontre avec le président sortant, elle a ajouté : « Je ne savais pas comment réagir du tout. Mais il y a une chose que je peux dire : c'est un individu rempli de compassion et de gentillesse. J'avais l'impression que nous participions avec lui à une rencontre mensuelle. Il nous a tous mis à l'aise. »

Ramona Brant fait partie de l'héritage de Barack Obama en matière de justice pénale.

Le 19 décembre dernier, il aura établi un autre précédent en commuant les peines de 153 condamnés et en en graciant 78 autres. Jamais un président n'avait fait profiter de sa clémence autant de condamnés en une seule journée.

HÉRITAGE MENACÉ

Mais cet héritage est aujourd'hui menacé. Avant même d'être nommé par Donald Trump au poste de ministre de la Justice, le sénateur Jeff Sessions dénonçait le programme de clémence mis en place par l'administration Obama en 2014 pour permettre à des milliers de personnes, majoritairement condamnées dans des affaires de drogue, de demander une commutation de peine. Pour être admissibles, celles-ci doivent avoir purgé une partie importante de leur peine et maintenu un comportement exemplaire.

Jeff Sessions voyait néanmoins dans cette initiative « un abus alarmant du pouvoir de grâce » dont jouit l'occupant de la Maison-Blanche. « Le président joue un jeu dangereux afin de promouvoir son idéologie politique », ajoutait-il en août dernier après l'annonce de 214 nouvelles commutations accordées par Barack Obama.

Le cas de Ramona Brant illustre l'idéologie dénoncée par Jeff Sessions. Au sortir d'une adolescence protégée, cette native de Freeport, à Long Island, est tombée sous le charme d'un homme d'affaires de la Caroline du Nord qui allait devenir violent avec elle après la naissance de leur premier garçon. Selon ses dires, il allait également menacer de s'en prendre à des membres de sa famille afin de la forcer à l'accompagner dans des activités liées au commerce de la cocaïne.

« Je n'ai jamais acheté ou vendu de drogue », dit aujourd'hui Ramona Brant.

Qu'à cela ne tienne : après l'arrestation du père de ses garçons, Ramona Brant a été accusée de complot en vue de posséder et de distribuer de la cocaïne. Reconnue coupable après le témoignage contesté d'anciens associés de son partenaire, elle a été condamnée à la prison à vie par un juge qui a critiqué devant elle la sévérité de cette peine. Il a cependant déclaré que les peines plancher en vigueur dans les affaires de stupéfiants ne lui laissaient aucun choix (le partenaire de Brant avait été reconnu coupable d'avoir vendu près de 300 kg de cocaïne et de crack).

« J'ai dit au juge que cette peine n'était pas la mienne, que je n'allais pas passer ma vie en prison », se souvient-elle.

Deux ans plus tard, Ramona Brant s'est effectivement retrouvée devant le même juge après avoir interjeté appel de sa peine. Mais le juge l'a de nouveau condamnée à la prison à vie. Comment a-t-elle fait pour tenir le coup par la suite ?

« J'ai été élevée dans une église, et je suis retournée à la lecture de la Bible, à la prière et à la foi en Dieu. Je ne voulais pas permettre au système de me briser. Je ne voulais pas être incarcérée physiquement, mentalement et émotionnellement. Je suis restée libre spirituellement », dit-elle.

Ramona Brant travaille aujourd'hui pour le service des ressources humaines de Charlotte, en Caroline du Nord. Si elle pouvait s'adresser au prochain ministre de la Justice, elle n'hésiterait pas à défendre l'« idéologie » du président sortant.

« Il n'est pas normal que des personnes passent des décennies en prison pour des affaires de drogue comme la mienne, alors que des gens ayant commis des crimes violents écopent de peines moins lourdes, dit-elle. Les gens doivent comprendre que ces peines plancher sont injustes et contre-productives. »

Mais Jeff Sessions l'invitera-t-elle jamais à dîner ?

La clémence présidentielle en chiffres

Il reste à Barack Obama encore 16 jours pour utiliser son pouvoir de clémence et ajouter à son avance sur ses prédécesseurs depuis la Seconde Guerre mondiale au chapitre des grâces (pardons pour un crime) et des commutations (réductions de peine).

BARACK OBAMA

• 148 GRÂCES

• 1176 COMMUTATIONS

GEORGE W. BUSH

• 189 GRÂCES

• 11 COMMUTATIONS

BILL CLINTON

• 396 GRÂCES

• 61 COMMUTATIONS

GEORGE H.W. BUSH

• 74 GRÂCES

• 3 COMMUTATIONS

RONALD REAGAN

• 393 GRÂCES

• 13 COMMUTATIONS

JIMMY CARTER

• 534 GRÂCES

• 29 COMMUTATIONS

Source : département de la Justice