Donald Trump a nommé mardi comme chef de la diplomatie américaine Rex Tillerson, PDG du géant pétrolier ExxonMobil et ami de la Russie, le président désigné des États-Unis souhaitant un réchauffement des relations avec Moscou après les tensions de l'ère Obama.

M. Tillerson, 64 ans, connaît très bien la Russie où, en sa qualité de patron du premier groupe pétrolier mondial, il a souvent fait des affaires. Mais il a aussi développé une relation personnelle avec le président russe Vladimir Poutine. Le Kremlin a d'ailleurs immédiatement salué un « professionnel » qui a « de bonnes relations de travail » avec le chef de l'État russe.

Ce choix risque toutefois de se heurter à l'opposition du Sénat, qui devra confirmer cette nomination ministérielle, au moment où Moscou est accusé par la CIA d'avoir interféré dans la présidentielle américaine du 8 novembre en faveur de Donald Trump.

Mais en faisant de ce puissant homme d'affaires la voix et le visage de la diplomatie américaine, le président désigné confirme qu'il veut amorcer une détente avec la Russie. Après une tentative de « reset » (relance, NDLR) lancée en 2009 par le président Barack Obama et sa secrétaire d'État de l'époque Hillary Clinton, les relations américano-russes sont tombées au plus bas ces dernières années avec l'annexion de la Crimée et la guerre en Syrie.

« Je ne peux imaginer une personne mieux préparée et aussi dévouée pour servir en tant que secrétaire d'État à ce moment crucial de notre histoire », s'est félicité M. Trump en annonçant la nomination de M. Tillerson dans un communiqué.

« Des années de mauvaise politique étrangère »

Il estime qu'« il sera un avocat ferme et lucide des intérêts nationaux vitaux de l'Amérique et aidera à changer des années de mauvaise politique étrangère et d'actions qui ont affaibli la sécurité et la place de l'Amérique dans le monde ».

Donald Trump, qui remplacera Barack Obama à la Maison-Blanche le 20 janvier, s'est aussi réjoui d'avoir choisi l'un des plus « grands dirigeants d'entreprise du monde » pour succéder au démocrate John Kerry, à la tête du département d'État depuis février 2013.

Justifiant ce choix inhabituel, l'équipe Trump a souligné que M. Tillerson saura « comment s'orienter dans l'architecture complexe des affaires du monde et de différents dirigeants étrangers ».

Son arrivée a également été saluée par l'ancienne secrétaire d'État du président George W. Bush, Condoleezza Rice et par l'ex-patron du Pentagone Robert Gates - qui a servi MM. Bush et Obama. M. Tillerson représente un « excellent choix », une nomination « fantastique », ont-ils vanté.

Mais le prochain chef de la diplomatie de la première puissance mondiale est loin de faire l'unanimité chez les républicains qui devront confirmer sa nomination au Sénat.

Vladimir Poutine, qui lui avait remis en 2013 la décoration russe de l'ordre de l'Amitié, destinée aux étrangers, « est un voyou et un assassin, je ne vois pas comment on peut être l'ami d'un ancien agent du KGB », avait lancé le sénateur républicain John McCain peu avant la nomination.

« Graves inquiétudes » des républicains

Son pair de l'État de Floride, Marco Rubio, a reconnu que le PDG d'ExxonMobil était un « homme d'affaires respecté », mais il a fait part de ses « graves inquiétudes », soulignant qu'un secrétaire d'État devait « voir le monde avec clarté morale, sans conflits d'intérêts et avec un sens clair des intérêts de l'Amérique ».

John Kerry, qui s'en va sans avoir pu arrêter le carnage en Syrie malgré des années de négociations avec la Russie, s'est contenté de « féliciter » son successeur et lui garantir une « transition sans encombre afin que la prochaine administration poursuive le travail important de la politique étrangère des États-Unis ».

L'enjeu fondamental du moment est la relation Washington-Moscou.

Le patron d'ExxonMobil s'était exprimé contre les sanctions imposées par les Occidentaux pour punir les agissements de la Russie en Ukraine. À contre-courant de la fermeté des Européens et de l'administration Obama, la chancelière allemande Angela Merkel et le président français François Hollande s'étant encore prononcés mardi pour la prolongation de ces sanctions.

Le sénateur démocrate Ben Cardin s'est d'ailleurs dit « profondément troublé par l'opposition de M. Tillerson aux sanctions des États-Unis contre la Russie dans la foulée de l'invasion, de l'occupation et de l'annexion illégales de la Crimée, en Ukraine, et par sa relation étroite avec Vladimir Poutine ».

Rex Tillerson aura aussi à traiter avec la Chine.

Depuis le début du mois, Donald Trump a multiplié les déclarations menaçant de rompre le fragile équilibre des relations entre les États-Unis et la Chine, en particulier sur la très sensible question de Taïwan. Pékin a d'ailleurs lancé sa plus sévère mise en garde à ce jour mardi, avertissant que toute personne qui menacerait les intérêts de Pékin à Taïwan « soulèverait un rocher qui lui écraserait les pieds ».

Rex Tillerson, un pétrolier très proche de Poutine

(Luc OLINGA, NEW YORK) - Rex Tillerson, PDG d'ExxonMobil nommé mardi chef de la diplomatie américaine, a noué des liens étroits avec de nombreux chefs d'État, dont Vladimir Poutine, en négociant des contrats pétroliers mais sa nomination inquiète dans le cadre de la lutte contre le réchauffement climatique.

Carrure impressionnante, chevelure blanche, ce Texan de 64 ans, toujours tiré à quatre épingles, n'a aucune expérience gouvernementale mais sa proximité avec le président russe a sans doute été déterminante dans le choix Donald Trump.

Une des priorités du président désigné est de réchauffer les relations russo-américaines, considérablement refroidies depuis l'invasion de la Crimée en 2014 par la Russie.

«Il est l'Américain qui a eu le plus d'interactions avec Vladimir Poutine à l'exception d'Henry Kissinger», dit de lui John Hamre, de l'institut d'études Center for Strategic and International Studies (CSIS) dont M. Tillerson est membre.

MM. Tillerson et Poutine ont fait connaissance dans les années 90 quand le premier supervisait un projet d'Exxon sur l'île de Sakhaline et ont renforcé leurs liens quand le second a pris le pouvoir après la démission de Boris Eltsine le 31 décembre 1999.

Cette «amitié» sera couronnée par un accord historique signé en 2011 entre le géant énergétique public russe Rosneft et Exxon pour explorer et forer ensemble l'Arctique et la Sibérie.

Cet accord, évalué au départ à 3,2 milliards de dollars mais pouvant potentiellement générer 500 milliards en fonction des découvertes de gisements, est actuellement gelé par les sanctions occidentales contre la Russie.

M. Tillerson, qui a reçu en 2012 des mains de Vladimir Poutine la décoration de l'ordre de l'Amitié, s'est prononcé contre ces sanctions lors de l'assemblée générale des actionnaires d'ExxonMobil en 2014.

«Nous avons toujours encouragé les gens qui prennent ces décisions à tenir compte de l'ensemble des dommages collatéraux ainsi que des personnes touchées par ces sanctions», avait-il objecté.

Ces propos pourraient lui valoir une confirmation difficile au Sénat américain, dont des membres influents - le sénateur John McCain en l'occurrence - ont déjà exprimé publiquement leurs réticences sur le choix du président désigné.

Attendu sur le climat

Né à Wichita Falls dans le Texas, Rex Tillerson a fait toute sa carrière chez Exxon qu'il a rejoint en 1975. Nommé PDG en 2006, il devait quitter son poste en mars, pour partir à la retraite.

Ce fils de chef scout, marié et père de quatre enfants, a beaucoup pesé sur la décision de l'organisation américaine des scouts en 2013 d'accepter des jeunes ouvertement homosexuels dans leurs troupes.

Ses vues sur la politique étrangère sont très peu connues, si ce n'est qu'il est un fervent défenseur du libre-échange.

En tant que secrétaire d'État, il devra gérer le dossier du nucléaire iranien - M. Trump veut revoir l'accord de 2015 conclu entre l'Iran et les grandes puissances -, les sanctions contre la Russie, les querelles avec la Chine et le dossier syrien.

Il sera aussi très attendu sur le climat après avoir résisté en sa qualité de patron d'ExxonMobil à réduire les investissements dans l'exploration de nouveaux puits pétroliers pour lutter contre le réchauffement climatique.

Plusieurs États américains dont New York, soutenus par des militants écologistes, ont ouvert des enquêtes contre le groupe.

Cette nomination «est inimaginable», dénonce l'ONG environnementaliste 350.org. «Nous ne pouvons laisser M. Trump nommer le plus grand groupe pétrolier du monde responsable de notre politique internationale sur le climat. M. Tillerson est peut-être un ami de M. Poutine, mais ce n'est pas un ami de la planète», ajoute l'ONG qui a mis en ligne une pétition contre cette désignation.

Conflits d'intérêts

Rex Tillerson a déjà montré qu'il pouvait infléchir ses positions notamment quand il s'agit de redorer le blason de son entreprise en se prononçant en 2009 pour la taxe carbone alors que son prédécesseur Lee Raymond y était opposé.

S'il n'est pas rompu aux usages et protocoles diplomatiques, M. Tillerson est néanmoins habitué à rencontrer les grands de ce monde pour défendre les intérêts d'Exxon, présent dans plus d'une cinquantaine de pays, du Qatar à la Papouasie-Nouvelle-Guinée en passant par l'Arabie saoudite. Il a par exemple retiré Exxon du Venezuela suite à des désaccords avec l'ex-président Hugo Chavez.

Sa position d'actionnaire d'Exxon, dont il détient plus de 150 millions de dollars de titres d'après des documents boursiers, pourrait générer des conflits d'intérêts, car ses décisions en tant que ministre des Affaires étrangères seraient de nature à influencer le cours du titre. Une levée des sanctions contre la Russie provoquerait ainsi très certainement une flambée de l'action Exxon.

Photo archives AFP

Le PDG d'Exxon Mobil, Rex Tillerson, était devenu le principal candidat. Il a rencontré deux fois le président désigné la semaine dernière.