Pékin a lancé un avertissement à Donald Trump après son échange téléphonique avec la présidente taïwanaise, à rebours de la reconnaissance d'une «Chine unique». Pour les experts, l'épisode trahit l'inexpérience du président désigné américain, mais n'augure aucun changement de ligne.

«Nous avons protesté solennellement auprès de la partie américaine concernée. Il n'existe qu'une seule Chine, et Taïwan est une part inaliénable du territoire chinois», a martelé samedi le ministère chinois des Affaires étrangères.

Les formules laissent transpirer un vif agacement: l'appel qu'a donné vendredi la présidente taïwanaise Tsai Ing-wen à Donald Trump rompt avec 40 ans de diplomatie américaine.

Les deux dirigeants «ont noté les liens étroits en matière économique, politique et de sécurité entre Taïwan et les États-Unis», selon un compte-rendu de l'équipe du prochain locataire de la Maison-Blanche.

Or Washington soutient la politique d'une «seule Chine», qui l'a conduit à interrompre à la fin des années 1970 ses relations diplomatiques avec Taïwan. L'île est de facto séparée de la Chine depuis 1949.

«Le gouvernement de la République populaire de Chine est le seul légitime. C'est le fondement politique des relations sino-américaines», insiste la déclaration du ministère chinois. «Nous enjoignons la partie concernée à respecter» ce principe.

Plus tôt samedi, le chef de la diplomatie chinoise Wang Yi avait semblé rejeter la faute sur Taipei.

«Ce n'est qu'une basse manoeuvre manigancée par Taïwan», avait-il déclaré sur la chaîne hongkongaise Phoenix TV, affirmant n'attendre «aucune modification» de la politique de Washington.

La Maison-Blanche s'était empressée vendredi de réaffirmer son «ferme attachement» à une Chine unique. «Il n'y a aucun changement dans notre politique de longue date», avait indiqué à l'AFP Emily Horne, porte-parole du Conseil de sécurité nationale.

Inexpérience de Trump

«Tsai est intelligente: comme Trump n'est pas encore président, lui parler n'est pas nécessairement un problème juridique», observe Jin Canrong, codirecteur de l'Institut de relations internationales à l'Université du Peuple (Pékin).

«Cet appel est révélateur» des ambitions de la présidente de Taïwan, issue d'un parti aux positions traditionnellement indépendantistes, et qui aimerait «une opposition américaine plus franche» à la Chine, indique-t-il à l'AFP.

Partisan au contraire d'un réchauffement entre Pékin et Taipei, le Kuomintang, parti d'opposition taïwanais, s'est inquiété de cette «surprise» diplomatique. Il a demandé à «vérifier si cette conversation était un appel de courtoisie ou signalait un changement de la politique américaine».

De l'avis général, une évolution fondamentale de la ligne de Washington semble cependant peu plausible.

«À voir comment Trump a réagi et appelé Tsai «présidente», on voit qu'il agit légèrement et qu'il ne connaît pas grand-chose au dossier», raille M. Jin.

Face aux critiques, M. Trump avait tweeté: «La présidente de Taïwan M'A TÉLÉPHONÉ pour me féliciter de ma victoire à la présidence. Merci!».

Avant d'ajouter plus tard: «Intéressant le fait que les USA vendent des milliards de dollars d'équipements militaires à Taïwan, mais (que) je ne devrais pas accepter un appel de félicitations».

Responsables et médias chinois n'attribuent jamais à Tsai Ing-wen le qualificatif de «présidente», mais l'appellent simplement «dirigeante de Taïwan».

«Mentalité d'homme d'affaires»

Étant donné la personnalité impétueuse du milliardaire, «on ne peut exclure certains ajustements», reconnaît Zhang Wensheng, directeur d'études taïwanaises à l'Université de Xiamen.

Donald Trump, avec sa «mentalité d'homme d'affaires», pourrait «gonfler les ventes d'armes américaines à Taïwan» par pur intérêt économique, confie-t-il à l'AFP. Ces ventes s'inscrivent dans l'engagement des États-Unis à garantir la sécurité de l'île.

Les médias d'État chinois, eux, sont restés quasi-muets jusqu'à samedi soir sur l'appel controversé, préférant mettre l'accent sur la visite à Pékin de l'ancien secrétaire d'État américain Henry Kissinger.

L'ex-stratège de 93 ans, artisan en 1972 de la visite historique du président américain Nixon en Chine maoïste, est immanquablement qualifié par le régime communiste de «vieil ami du peuple chinois» et a été reçu vendredi par le président Xi Jinping.

«Dr Kissinger, votre visite tombe à point nommé! Nous sommes impatients de connaître vos vues sur l'évolution des relations sino-américaines», lui a lancé M. Xi.

Henry Kissinger avait rencontré Donald Trump à deux reprises à New York ces dernières semaines, pour lui prodiguer justement ses recommandations en diplomatie.