Un réseau pédophile abrité par une pizzeria de Washington et impliquant un proche d'Hillary Clinton : une folle rumeur se propage depuis des semaines sur l'internet, alimentant des menaces de mort et illustrant le pouvoir dévastateur des « fausses informations ».

Tout part de la publication début octobre par WikiLeaks des courriels de John Podesta, le directeur de campagne de la candidate démocrate à la présidentielle. La presse épluche aussitôt ces milliers de courriels piratés à la recherche d'éléments politiquement compromettants.

Mais certains vont s'attarder sur une poignée de courriels anodins évoquant une soirée de collecte de fonds organisée pour Mme Clinton avec James Alefantis, le patron et chef de Comet, une pizzeria nichée dans un quartier huppé de la capitale américaine.

Il n'en faut pas plus pour déchaîner les réseaux conspirationnistes. Des internautes se précipitent sur le compte Instagram de M. Alefantis, réalisent des captures d'écran et se retrouvent sur les forums 4Chan et Reddit pour propager la théorie baptisée « Pizzagate » : le restaurant Comet ne serait qu'une façade dissimulant un réseau de pédophilie.

« Ils ont découvert un réseau de trafic d'enfants pour les élites qui célèbrent leurs penchants en utilisant des noms de code et des oeuvres d'art dérangeantes », affirme ainsi le site conspirationniste The Vigilant Citizen.

Messages menaçants

Dans cet univers, tout devient suspect : des peintures de nus sur les murs du restaurant sont tendancieuses, des motifs sur une robe d'enfant ou sur le menu cachent des symboles pédophiles et la photo d'une petite fille jouant avec du scotch révèle des pratiques sexuelles déviantes.

La langue française est même convoquée par les conspirationnistes : James Alefantis serait phonétiquement proche de « J'aime les enfants »...

À l'approche de la présidentielle du 8 novembre, des centaines de messages menaçants se déversent alors sur le compte Instagram de M. Alefantis et la page Facebook de son restaurant est inondée de commentaires négatifs.

« Au début, je me disais : «il y a une bande de tarés, tout le monde est chauffé à blanc par l'élection et ça va disparaître». Mais c'est en réalité l'inverse qui s'est passé », raconte le restaurateur à l'AFP.

Au téléphone ou via les réseaux sociaux, les messages s'intensifient encore après la victoire de Donald Trump. « Des gens nous prévenaient qu'ils allaient venir s'occuper de nous ou nous disaient de révéler où étaient les tunnels » censés être utilisés pour trafiquer et abuser des enfants, ajoute-t-il.

Le Comet n'a pourtant a priori rien d'effrayant. Familial et branché, le restaurant se divise en plusieurs salles, dont une abritant des tables de ping-pong et un baby-foot, et accueille des concerts de rock alternatif le soir venu.

Attaque « coordonnée »

« Comet est un endroit qui fait un pont entre les gens. En début de soirée, des parents avec leurs poussettes viennent pour une pizza, des adultes viennent se retrouver, mais le plus ironique dans cette histoire c'est que c'est aussi un endroit où nos adolescents viennent se retrouver en toute sécurité », assure à l'AFP Leslie Harris, une avocate et habitante du quartier, qui organise des actions de soutien pour le restaurant.

Selon M. Alefantis, cette attaque « coordonnée et orchestrée » est en réalité liée à ses convictions politiques et à sa proximité avec les démocrates. « Je suis un entrepreneur indépendant, j'ai le droit de soutenir qui je veux et dédier mes ressources comme je l'entends », clame-t-il.

Le restaurateur a saisi la police locale et le FBI, mais les moyens de contrer une telle offensive restent lacunaires. Sous pression, Reddit a fermé un sous-forum dédié au « Pizzagate » en raison de « violations répétées des règles sur le contenu », a indiqué une porte-parole à l'AFP. Mais les attaques n'ont pas cessé.

« C'est comme le jeu où vous frappez sur une taupe et où elle ressort par un autre trou. C'est impossible de réguler ces endroits. Il faut plutôt donner aux utilisateurs les moyens de distinguer ce qui est digne de confiance du reste », affirme à l'AFP Claire Wardle, experte au Tow Center for Digital Journalism.

En attendant, M. Alefantis appelle à une prise de conscience. « Il faut que la société reconnaisse que les réseaux sociaux peuvent être utilisés comme des armes », dit-il. « On peut facilement être détruit par ce type d'attaques ».