Stephen K. Bannon s'est fait connaître du grand public avec les excès racistes et antisémites de Breitbart News. Mais sa carrière en politique a été lancée par un secteur peu connu du show-business américain: les documentaires de droite.

«La carrière de Bannon a vraiment été lancée par le film qu'on a fait avec lui sur Reagan», explique Timothy Watkins, coordonnateur chez Renegade Productions, qui a réalisé en 2004 le documentaire In the Face of Evil: Reagan's War in Word and Deed, coproduit par Bannon. «Après, il a été invité à fréquenter Andrew Breitbart et a connu Sarah Palin et tous les gens qui sont intervenus par la suite dans ses films. Quand Breitbart est mort, il a pris la tête de Breitbart News.»

À la fin des années 90, Stephen Bannon avait fait fortune avec la vente, pour plusieurs dizaines de millions de dollars, de sa banque d'affaires de Hollywood Bannon & Co et, surtout, avec une portion des redevances de Seinfeld qu'il avait acceptée comme paiement pour une transaction qu'il avait arrangée en 1990, alors que la célèbre série télévisée était encore obscure. 

«Il cherchait un prochain investissement. Il savait qu'il voulait être producteur, mais il ne savait pas quel marché viser», explique Timothy Watkins, joint au Maryland.

Le premier film auquel a participé Bannon, Indian Runner, mettait en vedette Sean Penn et était réalisé par ce dernier, qu'on ne peut certainement pas soupçonner d'être républicain. 

«Quand je l'ai rencontré en 2000, nous avons constaté que nous avions tous les deux un grand intérêt pour Reagan, dit M. Watkins. Je lui ai dit de suivre ses passions. Le film a raisonnablement bien marché. Mais je crois qu'il a surtout fait comprendre à Bannon qu'il y avait un marché complètement ignoré par Hollywood. Avec l'apparition de la distribution numérique, il est devenu beaucoup plus facile de percer le marché des conservateurs et des gens qui se méfient du gouvernement. Ça vaut aussi pour les autres niches, les films LGBT, les films contre le capitalisme ou ceux du mouvement Black Lives Matter: on voit une explosion des documentaires engagés distribués sur le web.»

L'argent d'abord

Un autre vétéran des films conservateurs, Randy Slaughterhouse, cofondateur et président de Rocky Mountain Pictures, estime lui aussi que les documentaires paranoïaques de Bannon sont issus d'abord et avant tout d'une décision d'affaires. 

«Je l'ai connu parce que nous avons distribué son documentaire District of Corruption en 2012. Il a ses idées, j'ai mes idées, mais d'abord et avant tout nous sommes des hommes d'affaires. J'ai fait de la distribution pendant près de 40 ans avant de commencer à me spécialiser dans les films chrétiens et conservateurs. Au début, j'étais sceptique, mais il y a beaucoup de gens qui veulent voir ce genre de films.» 

«Je n'aime pas beaucoup Michael Moore, mais je dois lui tirer mon chapeau: avec des films comme Fahrenheit 9/11, il a montré qu'il y avait de l'argent à faire avec les documentaires politiques», dit Randy Slaughterhouse.

M. Slaughterhouse a organisé en 2012 la distribution du documentaire conservateur le plus rentable de l'histoire, 2016: Obama's America, qui a recueilli 25 millions US aux guichets (contre 120 millions US pour Fahrenheit 9/11). «Aucune chaîne de cinémas ne voulait y toucher, explique M. Slaughterhouse, joint au Colorado. J'ai organisé une première dans un cinéma indépendant de Houston et on a fait salle comble. Le succès attire beaucoup de monde et on a pu le distribuer dans toutes les chaînes au pays, sauf une, dont les propriétaires étaient contre le propos du film.»

Des critiques, des spectateurs

Obama's America reprenait la thèse du commentateur conservateur Dinesh D'Souza selon laquelle le premier président noir était secrètement animé d'un puissant ressentiment envers les États-Unis à cause du racisme dont il avait souffert durant sa jeunesse. Il a été descendu en flammes par les critiques, qui déploraient la lourdeur appuyée des démonstrations de D'Souza.

«Chaque fois qu'un critique de film attaquait le documentaire, ça nous amenait des spectateurs, dit M. Slaughterhouse. Il y a beaucoup de gens qui ne peuvent pas sentir les chroniqueurs des médias traditionnels, dont les penchants politiques de gauche sont souvent assez évidents.»

Tant M. Slaughterhouse que M. Watkins se défendent d'être de droite. 

«J'ai des amis à droite et à gauche. Je ne saurais même pas trouver Breitbart News sur le web. Je n'ai pas de temps à perdre avec un extrême qui combat un autre extrême.», soutient Timothy Watkins, réalisateur d'In the Face of Evil.

Timothy Watkins pense que la victoire de Donald Trump constitue le couronnement de la carrière médiatique de Stephen Bannon. «C'est un coup de marketing incroyable, dit M. Watkins. Il a réussi à aller chercher des gens qui ne se reconnaissaient pas dans les candidats habituels et à les convaincre que Trump était leur homme.»

Est-il acceptable qu'un triomphe du marketing ait libéré les démons racistes et antisémites des États-Unis? «La politique est un marché comme un autre, dit M. Slaughterhouse. Si Bannon et Trump n'avaient pas trouvé ces électeurs insatisfaits, quelqu'un d'autre l'aurait fait. Et ça aurait peut-être été quelqu'un de plus à cheval sur ses principes.»

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Quatre films de Stephen Bannon

> In the Face of Evil: Reagan's War in Word and Deed

Cet éloge dithyrambique de l'ancien président divise le monde entre bons et méchants.



> The Undefeated

Ce portrait de Sarah Palin montre comment elle a vaincu l'establishment républicain en Alaska avant d'échouer à devenir vice-présidente en 2008.

> Battle for America

Cette attaque contre le président Obama décrit la «guerre culturelle» entre les «conservateurs constitutionnels» et le gouvernement central, sur la base d'entrevues avec des ténors de la droite comme Ann Coulter, Newt Gingrich, Lou Dobbs et Michael Flynn, le conseiller à la sécurité nationale choisi par Donald Trump.

> District of Corruption

Ce pamphlet accuse les trois derniers présidents américains, démocrates comme républicains, d'être corrompus et de cacher leurs réelles intentions ainsi que leurs erreurs.