La Maison-Blanche a versé cet été 1,5 million de dollars à la famille d'un travailleur humanitaire italien tué en 2015 lors d'une frappe de drone au Pakistan.

La Maison-Blanche a versé cet été 1,5 million de dollars à la famille d'un travailleur humanitaire italien tué en 2015 lors d'une frappe de drone au Pakistan.

Giovanni Lo Porto, 37 ans, était l'otage de militants d'Al-Qaïda qui ont été pris pour cible par les forces américaines. Un autre otage, Warren Weinstein, âgé de 73 ans, a aussi été tué lors de l'attaque.

Le quotidien italien La Repubblica, qui a révélé la teneur de l'entente il y a quelques jours, souligne que le paiement effectué par le gouvernement américain est présenté comme un « don à la mémoire de Giovanni Lo Porto ».

Le document précise que le paiement ne signifie en rien que l'administration reconnaît la juridiction des tribunaux italiens dans cette affaire.

Le président américain Barack Obama avait lui-même reconnu publiquement l'année dernière que les deux hommes avaient été victimes d'une erreur.

Il avait présenté ses excuses aux familles concernées, suscitant des commentaires critiques d'organisations de défense des droits de la personne qui reprochent au chef d'État de se montrer indifférent aux victimes « non blanches » et « non occidentales » du programme controversé de drones.

Ces organisations ont publié des réactions dans la même veine, hier, à l'annonce de la confirmation du versement d'une somme compensatoire à la famille de Giovanni Lo Porto, relevant qu'il s'agit de la seule victime à ce jour à avoir officiellement reçu un tel traitement.

« Le contraste avec les autres victimes civiles des frappes de drones américaines est marqué et éclatant. Ça fait très mal paraître l'administration. »

- Hina Shamsi, de l'American Civil Liberties Union (ACLU)

Les familles de victimes civiles innocentes des frappes de drones dans des pays comme le Yémen ou le Pakistan n'ont reçu aucune reconnaissance officielle de la part des États-Unis, de promesse d'enquête ou de compensation formelle, déplore l'activiste, qui refuse de formuler des hypothèses sur les raisons de cette disparité de traitement.

« Seules deux personnes ont fait l'objet d'excuses de l'administration, et il s'agit de deux Occidentaux », déplore de même Jennifer Gibson, du volet britannique de l'organisation Reprieve, qui représente des dizaines de familles touchées par des frappes de drones.

À défaut de recevoir officiellement des excuses et des sommes compensatoires provenant des États-Unis, certaines d'entre elles se sont vu offrir des liasses d'argent par des officiels locaux agissant possiblement comme relais pour l'administration américaine.

Mme Gibson note que la famille de deux Yéménites tuées par une frappe de drone en août 2012 s'est fait proposer en 2014 un sac contenant 100 000 $ en coupures américaines par un représentant des forces de sécurité locales. L'officiel, dit-elle, a confirmé à mots couverts que l'argent venait de Washington, mais il a refusé de signer un document à cet effet.

ENTRE 64 ET 155

Nombre de civils innocents tués de 2009 à 2015 par des frappes de drones américaines, selon un premier bilan de la Maison-Blanche paru cet été. De 2372 à 2581 « combattants » auraient aussi été tués durant cette période. Le Bureau of Investigative Journalism parle plutôt de plus de 1000 victimes civiles.

Le nombre de victimes civiles est largement sous-évalué, selon l'ACLU et Reprieve, qui jugent plus crédibles les données colligées par le Bureau of Investigative Journalism.

En se basant sur des comptes rendus journalistiques et des enquêtes terrain, l'organisme avance que plus de 1000 civils pourraient avoir été tués au Yémen, au Pakistan et en Somalie durant la période considérée par l'administration américaine.

MANQUE DE TRANSPARENCE

Mme Shamsi relève que la Maison-Blanche n'a donné aucune information sur les victimes qu'elle reconnaît. « Nous leur avons demandé de nous fournir leur nom, leur origine, la date de leur mort, leur statut, les résultats de l'enquête, s'il y en a eu une, mais nous n'avons rien reçu », déplore-t-elle.

L'administration américaine, relève Mme Shamsi, continue de manquer de transparence et s'oppose à la divulgation de documents précisant la portée et les modalités du programme de drones. Et elle combat énergiquement toutes les démarches juridiques entreprises pour lever le voile à ce sujet.

Dans le contexte, il est impossible de savoir si « la force est utilisée légalement, encore moins si elle est utilisée judicieusement », relève l'activiste.

« Le programme demeure largement secret. Ça permet au gouvernement de faire ce qu'il veut, de dire ce qu'il veut sans devoir rendre de comptes au public, qui n'a pas les informations requises pour se prononcer. C'est un déni de démocratie », ajoute Mme Gibson.

Photo Associated Press

Giovanni Lo Porto, 37 ans, était un travailleur humanitaire d'origine italienne.