La troisième Conférence mondiale sur les religions du monde après le 11-Septembre a lieu aujourd'hui au Palais des congrès. Plus de 1000 personnes sont attendues, dont 30 % en provenance de l'étranger. Pour l'occasion, La Presse s'est entretenue avec Amir Hussain, théologien à l'Université Loyola Marymount de Los Angeles et auteur du livre Muslims and the Making of America, qui prononcera une conférence.

Pourquoi avez-vous écrit ce livre ?

Je suis né au Pakistan, ai grandi au Canada et habite les États-Unis depuis 20 ans. Ma famille a toujours été bien intégrée, j'ai notamment été un fan du Canadien à Toronto. Depuis quelques années, je vois les politiciens miser sur une rhétorique antimusulmane, même au Canada, avec Harper et le niqab ou la Charte des valeurs au Québec. On dit que les musulmans sont des nouveaux venus qui n'apportent rien à la société nord-américaine. C'est faux, mes deux parents ont travaillé en usine. Aux États-Unis, les musulmans ont plus d'éducation et des revenus très supérieurs à la moyenne. Thomas Jefferson a écrit que la liberté de religion s'appliquait aussi aux musulmans et l'un des premiers traités diplomatiques, avec le Bey de Tripoli en 1796, affirmait que le gouvernement américain n'était pas fondé sur le christianisme et n'était pas l'ennemi des lois et de la religion musulmanes. Le premier monument militaire a été érigé en 1808 pour commémorer la guerre contre les pirates de Tripoli et est orné des premières images de musulmans en sol américain.

Quelles sont les différences entre le Canada et les États-Unis à cet égard ?

Au moins le quart des musulmans américains sont afro-américains, alors qu'au Canada, il s'agit davantage d'une immigration du Maghreb au Québec et d'Asie du Sud-Est ailleurs. Les musulmans forment une proportion plus élevée de la population au Canada.

L'historien Bernard Lewis affirmait dans son livre Notes on a Century qu'il était paradoxal que les Afro-Américains prennent des noms musulmans alors que l'esclavage a été plus important dans le monde musulman qu'en Occident. Êtes-vous du même avis ?

Il a raison en ce qui concerne l'histoire de l'esclavage. Mais les Afro-Américains, en prenant des noms musulmans, se rebellent contre l'oppresseur.

Pourquoi semble-t-il y avoir plus de problèmes d'intégration en France qu'aux États-Unis ?

Le politologue Olivier Roy note que les terroristes sont souvent des immigrants de deuxième génération. C'est une question de racisme et aussi du fait que les pays d'immigration musulmane étaient des colonies françaises. Les musulmans en Europe forment une sous-classe socioéconomique, alors qu'aux États-Unis, ils ont des emplois de type col blanc. Le problème est souvent lié à une société plus homogène, en France ou en Allemagne.

Y a-t-il la même différence d'intégration au Québec ?

Pour les Québécois, la normalité est d'être chrétien ou encore mieux ex-chrétien. Je vois des similitudes avec la France.

Certains commentateurs ont avancé que l'interdiction du niqab dans une cérémonie de citoyenneté pourrait être un signal d'égalité hommes-femmes, même s'il n'est pas toujours signe d'une soumission de la femme. Qu'en pensez-vous ?

Oui, le niqab fait partie du problème général de la place de la femme dans les sociétés musulmanes. Cela dit, pour les femmes qui veulent le porter, c'est une question de choix personnel. Je crois que la liberté de s'habiller comme on veut est un droit important, tout comme les droits de la communauté LGBT.

La conférencière avec qui vous allez discuter, la théologienne Karen Armstron, est très cinglante envers Ayaan Hirsi Ali, l'activiste d'origine somalienne qui milite pour une réforme de l'islam. L'êtes-vous aussi ?

Il est vrai qu'il y a un problème avec la place des femmes musulmanes. Il y a beaucoup de violence conjugale, et souvent en tant qu'immigrants nous le nions. Mais la solution de Hirsi Ali est de se débarrasser de l'islam. Il y en a d'autres, comme Malala Yousafzai, la jeune Pakistanaise qui milite pour l'éducation des filles et qui a subi un attentat des talibans.

Dans un récent article pour un journal de l'Université de Californie, vous attaquez les subventions aux mosquées et aux imams provenant de l'Arabie saoudite wahhabite. Justement, ces dernières années, des archéologues allemands ayant retrouvé au Yémen des versions du Coran antérieures à celle qui est utilisée aujourd'hui ont fait l'objet de menaces de groupes wahhabites. Est-ce réellement un problème ?

Oui, l'influence wahhabite est très dommageable. On envisage de détruire la tombe de Mahomet pour lutter contre l'idolâtrie. Je pense que comme avec la Bible il y a un siècle, l'étude critique du Coran nous permettra de mieux comprendre comment il s'inscrit dans l'histoire et dans son contexte culturel.

Les affrontements entre sunnites, chiites et autres minorités musulmanes au Moyen-Orient sont parfois comparés à la guerre de Trente Ans en Europe entre catholiques et protestants, au XVIIe siècle. Est-ce approprié ?

Pas du tout. Les guerres actuelles au Moyen-Orient sont seulement économiques.

Certains commentateurs, comme Niall Ferguson, le mari d'Ayaan Hirsi Ali, avancent que la paix en Europe depuis la Seconde Guerre mondiale est en partie due aux génocides et aux expulsions de masses qu'a connus le continent entre 1939 et 1950. Entrevoyez-vous le même scénario au Moyen-Orient ?

Tout dépend de nous, et je parle des États-Unis. Les États-Unis sont responsables du coup d'État contre le premier ministre Mossadegh en Iran en 1953, de la guerre Iran-Irak dans les années quatre-vingts, et livrent actuellement livrent une guerre par procuration contre la Russie en Syrie.

QUELQUES MUSULMANS AMÉRICAINS CÉLÈBRES

Muhammad Ali, né Cassius Clay, qui a changé de nom après s'être converti à l'islam en 1960.

Kareem Abdul Jabbar, qui a joué au basket pour les Lakers de Los Angeles de 1975 à 1989 et a été six fois meilleur joueur de l'année.

Ahmet Ertegün, fondateur d'Atlantic Records, la maison de disques de Led Zeppelin, AC/DC et Phil Collins.

Keith Ellison, premier élu musulman à siéger au Congrès, a prêté serment en 2007 sur un Coran ayant appartenu à Thomas Jefferson.

Yarrow Mamout, le premier riche esclave affranchi, dont le portrait peint en 1819 est exposé au musée d'art de Philadelphie.

Photo Dan Grossi, archives Associated Press

Muhammad Ali, né Cassius Clay, a changé de nom après s'être converti à l'islam en 1960.