Des millions d'adolescents vivant dans des quartiers défavorisés des États-Unis sont frappés de plein fouet par l'insécurité alimentaire et doivent multiplier les stratagèmes pour s'en sortir, souvent en adoptant des comportements à haut risque. C'est le cas notamment de nombre de jeunes femmes qui se voient contraintes de « fréquenter » des adultes beaucoup plus âgés qui leur viennent en aide en échange de faveurs sexuelles, prévient un nouveau rapport de l'Urban Institute.

Quel était l'objectif poursuivi par les chercheurs ?

Le groupe de recherche établi à Washington a entrepris de documenter l'impact de l'insécurité alimentaire sur les adolescents des familles défavorisées des États-Unis. On estime que près de 7 millions d'Américains âgés de 10 à 17 ans peinent à obtenir toute la nourriture dont ils ont besoin et que 3 millions d'entre eux souffrent de manques graves, mais les conséquences de cette situation sur leur quotidien et leur développement sont rarement étudiées, explique Susan Popkin, qui fait partie des chercheurs responsables de l'étude. Avec ses collègues, elle a interviewé près de 200 jeunes répartis sur cinq États dans une dizaine de communautés présentant des taux de pauvreté et de chômage plus élevés que la moyenne.

Quels sont les principaux constats du rapport ?

L'insécurité alimentaire, observent-ils, frappe de plein fouet les adolescents, qui ressentent une lourde responsabilité face aux difficultés vécues par leur famille. « [Les adolescents] sont conscients que leurs parents souffrent, que leurs frères et soeurs souffrent et ils se sentent tenus de faire quelque chose », souligne Susan Popkin. Ces jeunes vont souvent tenter, dans un premier temps, de sauter des repas ou se contenter de nourriture de piètre qualité pour ne pas trop peser sur les finances familiales. L'approche s'avère souvent insuffisante et les pousse à rechercher d'autres solutions sans pour autant en parler ouvertement, puisque l'insécurité alimentaire est souvent ressentie comme une honte. L'obtention d'un emploi est difficile et ne règle pas nécessairement tout puisque les postes sont souvent mal rémunérés et hautement instables. Des avenues plus risquées sont alors envisagées.

En quoi consistent ces avenues plus risquées ?

Les jeunes interrogés par les chercheurs ont déclaré qu'il n'était pas rare que des adolescents soient contraints de faire des gestes illégaux pour échapper à la faim et aider leur famille. « Ils font ce qu'ils font pour survivre parce que ce n'est pas tout le monde qui peut se trouver un emploi approprié », a résumé un adolescent de l'Illinois. Le vol à l'étalage est un des recours envisagés et commence parfois à être utilisé par des enfants du primaire. Le vol de biens comme des vélos, des téléphones et des voitures, ou encore de la drogue, est aussi utilisé. La prostitution n'est pas rare et prend parfois la forme d'une fréquentation répétée et apparemment consensuelle dans laquelle les relations sexuelles sont compensées par des repas au restaurant, des biens monnayables ou de l'argent. Selon Susan Popkin, cette pratique de « fréquentations transactionnelles » a été évoquée dans tous les groupes de jeunes sondés par les chercheurs et semble donc assez largement répandue même s'il n'existe pas de statistiques fiables à ce sujet. La stigmatisation est moins forte que dans un cas de prostitution « traditionnelle ». « Ils vendent leur corps, mais d'une manière plus déguisée », a déclaré un jeune de Caroline du Nord.

Que préconisent les chercheurs pour contrer le problème de l'insécurité alimentaire ?

Susan Popkin estime que les comportements évoqués par les jeunes de milieux défavorisés dans le cadre de l'étude sont préoccupants et témoignent de la nécessité d'une action « urgente » des autorités. L'Urban Institute souhaite notamment que les programmes d'aide alimentaire gouvernementaux fournissent plus de nourriture aux familles ciblées. Une étude de la Maison-Blanche datant de 2015 a démontré qu'elles épuisaient souvent leurs stocks avant la fin du mois. Les chercheurs estiment qu'il faudrait par ailleurs que les banques alimentaires soient plus accessibles pour les adolescents. Leurs horaires sont souvent mal adaptés à celui des établissements d'enseignement et le personnel est peu préparé à composer avec des jeunes qui sont réticents à évoquer ouvertement leurs besoins alimentaires. Un projet pilote à Portland dans lequel des adolescents jouent un rôle direct dans la distribution de l'aide alimentaire offerte constitue une piste intéressante sur ce plan, relève Mme Popkin.