La propagation du virus du Zika aux États-Unis risque de remettre rapidement sous les projecteurs la question controversée de l'accès à l'avortement et pourrait entraîner, à terme, des réformes facilitant la démarche des femmes enceintes qui désirent interrompre leur grossesse.

Telle est du moins l'analyse du Guttmacher Institute, centre de recherche de Washington qui suit de près l'évolution des pratiques des États américains dans ce domaine.

« On peut penser que la problématique du Zika va ouvrir une conversation élargie sur l'avortement », note une spécialiste de l'organisation, Elizabeth Nash.

Bien que la Cour suprême américaine protège leur droit à l'avortement, nombre d'États ont entrepris au fil des ans de restreindre indirectement cet accès.

L'opposition philosophique de nombre d'élus conservateurs a notamment mené à l'adoption de mesures limitant le recours à une interruption de grossesse tardive.

Selon Mme Nash, une quinzaine d'États interdisent tout avortement au-delà de 22 semaines de gestation et la majorité des autres en font autant une fois que le foetus est considéré comme pleinement viable, « entre 24 et 26 semaines ».

Or, ces restrictions risquent de s'avérer particulièrement problématiques pour les femmes enceintes qui, après dépistage, se révèlent porteuses du virus et qui souhaitent obtenir un avortement.

La question se pose avec d'autant plus d'acuité, note la chercheuse du Guttmacher Institute, que le diagnostic est souvent fait tardivement dans la grossesse et que les connaissances scientifiques sur l'impact du virus sur le foetus continuent d'évoluer et contiennent une part d'incertitude.

Les recherches indiquent que le Zika peut entraîner des malformations congénitales importantes, dont une tête anormalement petite et un cerveau sous-développé.

« LOGISTIQUE COMPLEXE »

La rareté des établissements pratiquant des avortements tardifs aux États-Unis ajoute aux difficultés des femmes, qui peuvent être contraintes de se rendre dans un autre État pour obtenir le service requis. Le coût est aussi sensiblement plus élevé que pour un avortement dans les premiers mois de grossesse.

« Si une femme est informée à 20 semaines de grossesse qu'elle est porteuse du virus, ça ne lui laisse que quelques semaines pour arranger le transport et le logement sur place, recueillir les fonds, organiser un congé de travail et, si elle en a, confier ses enfants à quelqu'un d'autre. C'est une logistique complexe », relève Mme Nash.

La problématique n'a rien de théorique puisque le Zika risque de se propager rapidement aux États-Unis, plusieurs États se trouvant dans la zone où vivent les moustiques pouvant porter le virus (voir carte ci-contre). 

Selon le plus récent décompte des Centers for Disease Control and Prevention (CDC), 2517 personnes vivant dans les États américains ont été infectées à ce jour. Ce total comprend 812 femmes enceintes, dont 16 qui ont donné naissance à des bébés présentant des malformations. Cinq autres ont vu leur grossesse interrompue après avoir porté un bébé souffrant de malformations, mais les CDC ne disent pas s'il s'agit d'avortements.

La situation dans le sud du pays inquiète particulièrement les autorités sanitaires, qui tardent, au dire de Mme Nash, à mettre en place les mesures préventives nécessaires pour contrer la propagation.

« Les CDC ont commencé à distribuer dans des zones sensibles des kits comprenant des filets moustiquaires, de l'insecticide, des condoms, mais ça semble être une goutte d'eau dans l'océan... Il y a beaucoup de chemin à faire pour en arriver à une réponse appropriée. » - L'analyste Elizabeth Nash, qui plaide pour un accès élargi à l'avortement

L'idée ne sourit guère aux adversaires à l'avortement aux États-Unis, qui s'opposent d'emblée à une révision des restrictions en place.

Le sénateur de la Floride, Marco Rubio, a récemment déclaré que l'interruption de grossesse devrait être interdite même pour les femmes portant le virus. « Toute vie humaine devrait être protégée par nos lois, sans égard aux circonstances ou à la qualité de cette vie », a-t-il relevé.

L'une des principales associations pro-vie du pays a indiqué dans la même veine qu'il faut refuser de « tuer des êtres humains » sous prétexte « qu'ils ont un handicap ». « En gros, tuez le moustique, tuez le virus. Ne tuez pas le bébé », a déclaré au site Vice Carol Tobias, qui préside le National Right to Life Committee.

Dans les années 60, une épidémie de rubéole ayant touché des millions de personnes avait frappé de nombreuses femmes enceintes qui risquaient, là aussi, d'accoucher de bébés souffrant de graves malformations. L'épidémie avait préparé la voie à un élargissement de l'accès à l'avortement.

« Si le passé est garant de l'avenir, on va probablement assister à une répétition de l'histoire », souligne Elizabeth Nash.

ET LE CANADA ?

Bien qu'un avortement tardif ne soit pas toujours facile au Canada, il est en théorie possible et devrait donc être offert aux femmes enceintes qui doivent interrompre leur grossesse. La situation risque de se présenter, puisque 13 femmes enceintes résidant dans le pays ont été infectées à ce jour. Selon l'Agence de santé publique du Canada, les foetus d'au moins trois de ces femmes ont aussi été infectés. L'une des trois a accouché d'un bébé en santé, une autre a eu la confirmation de graves malformations congénitales, mais elle n'a pas encore accouché. Une porte-parole a indiqué hier qu'elle ne pouvait préciser combien de femmes enceintes ont demandé un avortement après avoir appris qu'elles étaient infectées. Au Québec, le ministère de la Santé souligne que 37 cas d'infection ont été documentés dans la province, mais refuse de préciser, pour « des raisons de confidentialité », si des femmes sont touchées.

Photo Lynne Sladky, archives Associated Press

Le sénateur de la Floride, Marco Rubio, a récemment déclaré que l'interruption de grossesse devrait être interdite même pour les femmes portant le virus.