Moscou est soupçonné d'avoir cherché à influencer la campagne électorale américaine en faveur de Donald Trump en orchestrant une fuite de courriels embarrassants pour Hillary Clinton. Mais prouver l'implication russe sera difficile, selon les experts.

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Vendredi, trois jours avant l'ouverture de la convention démocrate, WikiLeaks a publié près de 20 000 messages piratés des comptes de sept responsables du parti démocrate, et échangés de janvier 2015 à mai 2016.

Ces courriels montrent notamment la méfiance et le mépris de responsables du parti pour Bernie Sanders, l'ex-rival de Mme Clinton pour la primaire démocrate.

La présidente du parti démocrate, Debbie Wasserman Schultz, n'a pas résisté au scandale et a annoncé dimanche sa démission à l'issue de la convention qui se tient jusqu'à jeudi et qui doit officiellement sacrer Hillary Clinton comme candidate du parti pour la Maison Blanche.

Furieuse de cette publication qui jette une ombre sur le début de la convention, l'équipe de l'ancienne Première dame a contre-attaqué en laissant entendre que la Russie pourrait être à l'origine de ces fuites de courriels volés par des pirates soupçonnés d'être liés aux autorités russes.

But de la manoeuvre, selon le clan Clinton: favoriser la campagne de Donald Trump, plus critique vis-à-vis de l'Otan que sa rivale démocrate.

«Il n'y a aucune preuve à l'appui» de ces accusations, a répondu le fondateur de WikiLeaks, Julian Assange, dans une interview diffusée par la chaine américaine NBC.

«C'est une manoeuvre de diversion de l'équipe Clinton», a-t-il assuré. «Ce qui est important, c'est que nous avons publié 20 000 documents extraits du coeur» du parti démocrate, «qui sont maintenant en train de bouleverser la convention démocrate», a-t-il dit.

A l'appui des accusations de l'équipe Clinton, le fait que le parti démocrate a été victime d'un piratage informatique mené par deux groupes de hackers réputés proches des autorités russes, selon la société de cyber-sécurité Crowdstrike, qui a révélé les détails de l'affaire mi-juin.

Ces groupes de pirates - «Cozy Bear» et «Fancy Bear» - sont «engagés dans des activités d'espionnage politique et économique au bénéfice de la Fédération de Russie», avait à l'époque indiqué Crowdstrike. 

Indices «très forts» 

La police fédérale FBI a annoncé lundi qu'elle enquêtait sur ce piratage, sans donner de détails sur l'identité présumée des pirates, ni sur un éventuel lien avec la publication de courriels par WikiLeaks.

Pour Thomas Rid, spécialiste des cyber-technologies au King's college de Londres, il y a peu de doute sur l'implication de Moscou dans cette affaire.

«Les indices qui relient le piratage du parti démocrate à des opérateurs russes identifiés sont très forts», estime-t-il dans une tribune publiée lundi sur le site d'information Motherboard.

Et l'ensemble de l'opération, avec l'utilisation de WikiLeaks «cadre bien avec l'évolution de la doctrine militaire» russe qui «étend très largement ce qui peut être considéré comme une cible militaire, et ce qui peut être considéré comme une tactique militaire», a-t-il écrit.

«Une inaction américaine» contre ces agissements «risque d'établir le principe de facto que toutes les campagnes électorales du futur, où qu'elles se trouvent, sont des cibles légitimes de sabotage», a-t-il ajouté.

Mais d'autres experts mettent en garde contre les assertions trop rapides.

Certes, «les Russes utilisent le piratage informatique pour influencer l'opinion et sont assez bons là-dessus», a relevé auprès de l'AFP James Lewis, un expert en cybersécurité du cercle de réflexion CSIS à Washington, assurant qu'«ils ont déjà fait des choses comme ça en Russie».

Mais les fuites de WikiLeaks «peuvent aussi bien être l'oeuvre d'une source interne (aux démocrates) utilisant les Russes comme un paravent», a-t-il ajouté.

«D'un point de vue technique», l'implication des Russes «est plausible», a estimé dans une déclaration à l'AFP Mark Young, vice-président de la société IronNet Cybersecurity, dirigée par l'ancien patron de la NSA Keith Alexander.

Mais «attribuer l'attaque» du parti démocrate aux Russes «sur la base des indices actuels est peut-être prématuré», a-t-il tempéré, rappelant les techniques de «camouflage» utilisées par les pirates informatiques.

«Cela peut être les Russes. Cela peut être un pirate russe non associé au gouvernement russe. Cela peut-être quelqu'un d'autre», a renchéri Bruce Schneier, expert pour la société de sécurité informatique Resilient. «A moins que le pirate ne sorte de l'ombre et ne donne des preuves crédibles qu'il est bien l'intrus, nous ne saurons probablement jamais qui a commis» ce piratage.