Le 24 novembre 2014, Barack Obama « a trahi » les États-Unis. Après l'annonce de la décision d'un grand jury de ne pas inculper le policier Darren Wilson pour la mort de Michael Brown, et alors que Ferguson replongeait dans la violence, le président n'avait qu'un seul et unique devoir à accomplir en s'adressant à ses concitoyens ce jour-là : « défendre le fonctionnement du système de justice pénale et la règle de droit ».

Mais il ne l'a fait que du bout des lèvres, préférant « transformer son allocution en leçon sur le racisme policier et la partialité du système de justice », déplore l'essayiste Heather Mac Donald dans The War on Cops, un livre publié le mois dernier. « Ce faisant, il a perverti son rôle en tant que leader de tous les Américains et de symbole le plus visible de la primauté de la loi. »

Heather Mac Donald est blanche et conservatrice. Sa thèse sur une « guerre contre les flics » menée principalement par le mouvement Black Lives Matter avec l'appui d'Obama fait désormais partie du discours de la droite américaine. Au lendemain de la tuerie de Dallas, elle a d'ailleurs été reprise par William Johnson, directeur de l'Association nationale des organisations policières, et Corey Stewart, président de la campagne de Donald Trump en Virginie, qui a également accusé Hillary Clinton d'avoir encouragé le meurtre des cinq policiers.

Michael Eric Dyson est noir et progressiste. En février dernier, ce professeur de sociologie à l'Université Georgetown a fait paraître The Black Presidency, un livre sur Barack Obama et la question raciale aux États-Unis. Il y dénonce notamment la « procrastination raciale » du premier président de couleur, qui aborde rarement le sujet des relations entre les Blancs et les Noirs, à moins d'y être forcé.

Et quand il le fait, « souvent à la suite de troubles sociaux provoqués par des allégations de brutalité policière, Obama a été généralement peu inspirant : il a averti les citoyens [noirs] d'obéir à la loi et a défendu le statu quo », écrit Dyson, donnant pour exemple le discours du président après le non-lieu de Ferguson.

« La présidence d'Obama [...] a à peine attaqué les forces qui pulvérisent les vies noires : taux de mortalité infantile élevé, chômage élevé, inégalités atroces en matière d'éducation, profilage racial et brutalité policière meurtrière », peut-on lire dans le livre The Black Presidency, de Michael Eric Dyson.

Les écrits d'Heather Mac Donald et de Michael Eric Dyson donnent une idée de la fracture raciale à laquelle Barack Obama faisait face avant même qu'une série d'incidents sanglants hautement médiatisés ne viennent secouer son pays la semaine dernière, de Baton Rouge à Dallas en passant par Falcon Heights, au Minnesota. Des incidents qui ont rappelé à certains le chaos des années 1967 et 1968.

Exercice d'équilibriste

Face à une fracture qui semble s'approfondir, le président reprendra cette semaine le rôle qui lui est assigné après des moments tragiques et déchirants, celui de consolateur et de rassembleur. Il se rendra d'abord à Dallas pour rendre hommage aux policiers abattus par Micah Johnson. Et il retournera ensuite à Washington pour appeler les Américains à soutenir à la fois les policiers et les réformes nécessaires « pour attaquer les inégalités raciales persistantes du système de justice pénale », selon une déclaration de la Maison-Blanche.

Obama se livrera à un exercice d'équilibriste plus périlleux que jamais. Car Heather Mac Donald fait figure de modérée à côté de certains conservateurs américains. L'ancien représentant républicain de l'Illinois Joe Walsh a notamment retenu l'attention en proférant des menaces sur Twitter : « C'est la guerre, prépare-toi, Obama, préparez-vous, salopards de Black Lives Matter. La vraie Amérique va venir vous chercher. »

Walsh, qui anime aujourd'hui une émission de radio, a plus tard supprimé ce message. Mais il n'a pas été le seul à attiser les passions. « Guerre civile », a annoncé le New York Post au lendemain du meurtre des policiers de Dallas. « Black Lives Kill », a pour sa part titré Matt Drudge sur son site populaire.

Vrai que des appels au meurtre de policiers ont été entendus lors de manifestations de Black Lives Matter. Mais ce mouvement, né dans la foulée de la mort de Trayvon Martin, peut-il être réduit à quelques voix extrémistes ?

Barack Obama devra répondre à cette question et à plusieurs autres tout aussi controversées cette semaine. On devine que des Blancs et des Noirs trouveront à redire à tel ou tel passage de son discours. On imagine aussi que ce discours tranchera avec celui qui avait révélé le jeune politicien de l'Illinois lors de la convention démocrate de 2004 : « Il n'y a pas une Amérique progressiste et une Amérique conservatrice, il y a les États-Unis d'Amérique. Il n'y a pas une Amérique noire [et] une Amérique blanche [...], il y a les États-Unis d'Amérique. »

Et on se demande si la situation s'améliorera ou se détériorera sous le successeur de Barack Obama.