La CIA a participé au développement du film Argo, qui minimisait le rôle du Canada dans une opération délicate menée en Iran en 1979 en attribuant principalement le mérite de l'intervention à... un agent de la CIA.

Le rôle de l'agence de renseignements dans cette production, primée à la cérémonie des Oscars en 2013, est évoqué dans un rapport d'audit produit par l'inspecteur général de la CIA qui étudie ses liens avec l'industrie du divertissement.

Une version censurée du document obtenue l'année dernière par le groupe conservateur américain Judicial Watch traitait de huit projets de divertissement sur lesquels la CIA a travaillé, mais leurs noms avaient été censurés.

Le site Vice a révélé au cours des derniers jours le texte complet de l'audit, qui avait été mené notamment pour vérifier si le personnel de l'agence suivait les procédures établies dans ses contacts avec des représentants de l'industrie du divertissement.

Outre deux livres, deux émissions de télévision et deux documentaires, les enquêteurs de l'inspecteur général évoquent deux films hollywoodiens, Zero Dark Thirty et Argo.

Le rôle de la CIA dans le développement du premier film avait déjà été mis en lumière il y a quelques années.

L'intervention de l'agence de renseignements dans le développement d'Argo - qui évoquait l'exfiltration de six officiels américains ayant échappé à la prise d'otages survenue à l'ambassade des États-Unis à Téhéran en 1979 - n'avait cependant jamais été confirmée officiellement.

L'ancien ambassadeur du Canada en Iran, Kenneth Taylor, avait fortement critiqué le film au moment de sa sortie en relevant que son contenu ne collait pas du tout à la réalité même s'il prétendait le faire.

M. Taylor, qui est mort l'automne dernier, affirmait notamment qu'Argo donnait une importance démesurée à un agent de la CIA, Antonio Mendez, tout en minimisant son propre apport et celui d'autres officiels canadiens qui ont joué un rôle-clé dans l'opération.



LE RÔLE DU CANADA

L'ex-président américain Jimmy Carter, qui était en poste lorsque la crise des otages a éclaté, avait déclaré en entrevue à CNN en 2013 qu'Argo « donnait presque tout le mérite à la CIA » alors que « 90 % de la contribution à la conception et la réalisation du plan était canadienne ».

Paul Heinbecker, un ex-ambassadeur du Canada, pense que l'intervention de la CIA révélée par le rapport d'audit a certainement influé sur la teneur finale de l'oeuvre.

Alors que Kenneth Taylor a joué un rôle-clé dans la réalité, le film donnait l'impression que les Canadiens n'étaient rien de plus que des « tenanciers d'hôtel » lors de la crise, ajoute M. Heinbecker.

Ryan Trapani, un porte-parole de la CIA, a indiqué à La Presse par courriel que l'agence « ne devrait pas pouvoir contrôler le contenu de films hollywoodiens » et ne le « fait pas ».

Lors de ses échanges avec le secteur du divertissement, la priorité du service de renseignements est de protéger les informations sensibles pour la sécurité nationale tout en veillant « à ce que les femmes et les hommes travaillant pour l'agence soient dépeints de manière équilibrée », note M. Trapani.

Il a ajouté que des représentants de l'agence ont souligné publiquement au cours des dernières années leur appréciation du rôle joué par le Canada lors de l'opération menée en Iran.

« Je serais curieux de savoir quelle est leur définition d'un portrait équitable. Je doute que ce soit la même que la mienne », ironise M. Heinbecker.

L'agence de renseignements américaine, à l'instar de l'armée américaine, a une longue histoire de coopération avec Hollywood, relève l'ancien diplomate, qui ne croit pas au caractère désintéressé de l'exercice.

« Ils sont heureux de collaborer en autant qu'ils sont représentés de manière positive », résume-t-il.



photo archives la presse canadienne

L’ancien ambassadeur du Canada en Iran, Kenneth Taylor, avait fortement critiqué le film au moment de sa sortie en relevant que son contenu ne collait pas du tout à la réalité même s’il prétendait le faire.

Argo

Argo a été réalisé en 2012 par Ben Affleck, qui incarne le rôle d'un agent de la CIA ayant participé à l'exfiltration de six officiels américains après l'éclatement de la crise iranienne des otages en 1979. L'oeuvre a été vertement critiquée à sa sortie sous prétexte qu'elle minimisait le rôle de responsables canadiens dans l'opération, ce qui ne l'a pas empêchée de remporter l'Oscar du meilleur film en 2013.

Zero Dark Thirty

Le film Zero Dark Thirty, sorti en 2012, disait retracer la traque d'Oussama ben Laden par la CIA jusqu'à sa mort aux mains d'un commando américain en mai 2011 au Pakistan. L'oeuvre de Kathryn Bigelow, qui a rencontré plusieurs représentants de l'agence de renseignements lors du développement du projet, a été vivement critiquée à sa sortie parce qu'elle semblait suggérer que la torture avait joué un rôle important dans la quête d'informations ayant permis de retrouver le chef d'Al-Qaïda. La sénatrice démocrate Dianne Feinstein était sortie d'une projection du film avant la fin parce qu'elle se disait « dégoûtée » par ce qui était suggéré relativement à la torture. Elle a ensuite chapeauté la production d'un rapport du Sénat américain sur les techniques d'interrogatoire de la CIA qui précisait que la torture n'avait permis d'obtenir aucun renseignement d'importance dans le cadre de la lutte contre le terrorisme.