Après des pressions des étudiants, des professeurs et des membres de la direction, l'Université Harvard a annoncé récemment le retrait des célèbres armoiries de sa faculté de droit, qui trouvaient leur origine dans l'esclavagisme. Une décision qui ne fait toutefois pas l'unanimité. Entrevue et explications.

UNE FACULTÉ CRÉÉE GRÂCE AU TRAVAIL D'ESCLAVES ?

Adoptées dans les années 30, les armoiries de la faculté de droit de l'Université Harvard sont visibles partout sur le campus : sur les diplômes, les bagues officielles, les t-shirts, jusque sur des boutons de manchette. La chose était peu connue jusqu'ici, mais cet emblème a des origines racistes extrêmement violentes. Le logo incorpore les armoiries de la famille Royall, qui a légué en 1781 une somme d'argent qui a servi à fonder la faculté de droit de Harvard. Or, le patriarche Isaac Royall a fait fortune en exploitant d'immenses fermes qui faisaient travailler des esclaves au Massachusetts et dans l'île d'Antigua.



UN LOGO DÉSORMAIS « DÉPLACÉ »

Le 14 mars, la direction de l'Université Harvard a annoncé que la faculté de droit allait changer ses armoiries, une décision qui survient après des mois de pression et de mobilisation de la part d'étudiants et de professeurs.

Un comité d'experts mis sur pied par Martha Minow, doyenne de la faculté de droit, a conclu dans un récent rapport que le logo était « déplacé ». « Nous ne pouvons pas choisir notre histoire, mais nous pouvons choisir les valeurs que nous comptons défendre », a écrit Mme Minow après la décision de la direction. La direction de Harvard se donne jusqu'à la mi-avril pour retirer les armoiries des lieux publics et des sites internet de l'établissement.

DU VANDALISME COMME DÉCLENCHEUR

L'automne dernier, des vandales ont collé des morceaux de ruban adhésif noir sur des photos d'universitaires afro-américains affichées dans un hall de l'École de droit de Harvard. Ce geste, dénoncé par la doyenne, a servi de catalyseur afin d'étudier l'abandon des armoiries controversées. Le retrait des armoiries ne fait pas l'unanimité : dans une opinion dissidente, la professeure de Harvard Annette Gordon-Reed a suggéré de garder le logo comme preuve que l'esclavagisme a des liens avec des institutions parmi les plus prestigieuses de notre époque. « Les gens devraient penser à l'esclavagisme lorsqu'ils regardent les armoiries de Harvard », écrit-elle.



PHOTO MICHLLE HALL, FOURNIE PAR BLAVITY.COM

L'automne dernier, des vandales ont collé des morceaux de ruban adhésif noir sur des photos d'universitaires afro-américains affichées dans un hall de l'École de droit de Harvard.

MÊME À HARVARD, LES MINORITÉS DOIVENT SE BATTRE

On pourrait croire qu'une maison d'enseignement aussi réputée que Harvard est exemplaire sur le plan du traitement des minorités chez les étudiants et le personnel. À ce titre, beaucoup reste à faire, explique Rathna Ramamurthi, étudiante en droit à Harvard et membre du groupe Reclaim Harvard Law School, qui était favorable à l'abandon du logo. « Bien des gens arrivent à Harvard avec une conception du monde bien définie - et ne sont pas prêts à s'intéresser au sort des minorités », dit-elle en entrevue téléphonique. Son groupe dénonce le fait que peu de professeurs de couleur se voient confier des postes de direction et que, contrairement à plusieurs universités américaines, Harvard n'a pas de centre de recherche sur la théorie critique raciale (critical race theory), discipline que ses professeurs ont pourtant contribué à créer. « Faire entendre notre voix est un défi constant », dit Mme Ramamurthi.

UN DÉBAT QUI TOUCHE D'AUTRES ÉTABLISSEMENTS

Les origines racistes ou violentes des établissements d'enseignement continuent de faire les manchettes dans le monde. Ce mois-ci, le gouvernement du Nigeria a demandé à l'Université Cambridge, au Royaume-Uni, de lui remettre la statue d'un coq emportée lors du pillage d'un palais royal par les troupes britanniques au XIXe siècle. L'université a retiré la statue et compte tenir un débat avec ses étudiants sur la demande du Nigeria. Récemment, l'Amherst College, au Massachusetts, a cessé d'utiliser sa mascotte, Jeffrey Amherst, maréchal britannique à l'origine d'un complot ayant fourni aux autochtones d'Amérique du Nord des couvertures contaminées à la vérole. Le nom d'Amherst est donné à plusieurs rues et lieux en Amérique du Nord, notamment à Montréal.