Le groupe informatique américain a réclamé en justice l'annulation d'une injonction obtenue la semaine dernière par le gouvernement américain pour le forcer à aider les enquêteurs de la police fédérale à accéder au contenu crypté de l'iPhone de Sayed Farook, l'un des deux auteurs de l'attentat de San Bernardino en décembre en Californie.

Deux mois après les événements, qui avaient fait 14 morts, les enquêteurs n'ont en effet toujours pas réussi à accéder au contenu crypté du téléphone.

Dans son recours judiciaire jeudi, la marque à la pomme estime que le gouvernement outrepasse son autorité et viole ses droits constitutionnels, notamment la liberté d'expression, en l'obligeant à écrire un logiciel allant à l'encontre de ses valeurs.

« Ce n'est pas une affaire qui concerne un seul iPhone isolé », affirme-t-il. « Cette affaire concerne plutôt le ministère de la Justice et le FBI qui cherchent par l'intermédiaire de la justice à obtenir un dangereux pouvoir, que le Congrès et le peuple américain ont refusé de leur donner : la capacité de forcer des entreprises comme Apple à miner les intérêts fondamentaux en matière de sécurité et de protection de la vie privée de centaines de millions d'individus à travers la planète. »

« Aucun tribunal n'a jamais autorisé ce que le gouvernement réclame maintenant, aucune loi ne soutient un usage si illimité et si large de la procédure judiciaire et la Constitution l'interdit », insiste-t-il, faisant valoir que la question devrait être tranchée au niveau politique, et pas judiciaire.

Le patron d'Apple, Tim Cook, avait déjà estimé mercredi dans une rare interview télévisée que se plier à la demande des autorités serait « mauvais pour l'Amérique ». Il avait estimé que pour répondre à la demande du FBI, Apple devrait créer un logiciel « équivalent à un cancer », s'assimilant à une « porte dérobée » utilisable ensuite pour n'importe quel iPhone.

Des responsables d'Apple ont fait valoir que ce logiciel pourrait par la suite être utilisé de manière répétée par le FBI, ou potentiellement être récupéré par des criminels ou des dictatures à l'étranger.

Soutien de Google, Microsoft et Facebook

Tim Cook a dit vouloir parler du dossier avec le président américain Barack Obama, et être prêt à faire remonter l'affaire jusqu'à la Cour suprême.

Le Congrès a pour sa part l'intention d'entendre les parties lors d'une audition prévue mardi prochain. Apple sera représenté par son vice-président chargé des questions légales et gouvernementales, Bruce Sewell, et le FBI par son patron James Comey.

Ce dernier s'est encore défendu jeudi de vouloir « créer une sorte de précédent », assurant que le FBI cherchait seulement « à être compétent » dans une enquête en cours.

L'affaire de San Bernardino, qui concerne le téléphone de l'auteur d'un attentat s'étant déroulé sur le sol américain, est toutefois un cas particulièrement sensible dans l'opinion publique, et donc un choix qui ne semble pas innocent.

Dans des documents transmis à la justice dans une autre affaire plus tôt cette semaine, Apple indiquait d'ailleurs qu'au-delà de ce cas très médiatisé, les autorités américaines exigeaient aussi sa collaboration pour accéder à au moins une dizaine d'iPhone dans différentes enquêtes, dont un trafic de stupéfiants à New York.

L'affaire a relancé les débats aux États-Unis sur les conséquences du cryptage inviolable des appareils électroniques.

Elle a provoqué la colère de nombreux défenseurs des libertés civiles, qui craignent que la demande du FBI ne débouche sur une surveillance débridée dans un pays déjà secoué ces dernières années par le scandale d'espionnage de l'Agence de renseignement NSA. D'autres accusent à l'inverse le groupe d'entraver une enquête vitale pour la sécurité nationale.

Apple a reçu le soutien public de plusieurs dirigeants du secteur technologique. Plusieurs poids lourds, comme Google, Microsoft et Facebook, ont prévu d'envoyer une lettre à la justice afin d'appuyer les arguments avancés par la marque à la pomme.

Jeudi, M. Comey a concédé que la question du cryptage inviolable était « la question la plus difficile en matière de gouvernement » qu'il ait jamais connue. La police « sauve des vies » grâce à des mandats de recherche dans des téléphones portables, et « nous allons entrer dans un monde où ce ne sera plus possible », a-t-il souligné.

D'après le New York Times, les ingénieurs d'Apple seraient en train de développer de nouvelles mesures de sécurité rendant impossible à l'avenir de débloquer un iPhone comme le FBI veut le faire aujourd'hui en Californie.