Raymond Santana avait 14 ans lorsque Donald Trump a annoncé à la face du monde qu'il méritait d'être exécuté avec quatre autres adolescents de Harlem. Ça ne s'oublie pas, même si près de 27 ans se sont écoulés depuis.

«Je veux haïr ces agresseurs et meurtriers. Ils devraient être forcés à souffrir et, quand ils tuent, ils devraient être exécutés pour leurs crimes», avait écrit le promoteur immobilier en mai 1989 dans une publicité pleine page publiée dans le Daily News de New York et intitulée «Ramenons la peine de mort, ramenons la police».

Aujourd'hui, Donald Trump martèle un autre slogan - «Rendre à l'Amérique sa grandeur» - dans une campagne encore plus ambitieuse que celle de 1989. Et Raymond Santana frissonne d'horreur en constatant que le candidat milliardaire devance tous ses concurrents dans la course à l'investiture républicaine pour la présidence. Il fait partie des «cinq de Central Park», condamnés injustement en 1989 pour le viol et la tentative de meurtre d'une joggeuse blanche de 28 ans à Central Park.

«Ça me trouble, et pas seulement à cause de mon cas », dit Raymond Santana lors d'une entrevue dans les bureaux du Projet Innocence, une association d'aide judiciaire de New York. « Une personne qui aspire à la présidence devrait être capable de démontrer de la compassion et de la contrition après avoir commis une erreur.» 

Avec sa barbichette, son crâne rasé et sa forte carrure, Raymond Santana ne ressemble plus à l'ado maigrichon arrêté le 20 avril 1989 avec quatre autres jeunes Afro-Américains de 14 à 16 ans, pour l'agression sauvage de Trisha Meili, employée d'une banque de Wall Street. Violée et battue, elle avait été laissée pour morte dans un ravin de Central Park (à sa sortie du coma, 12 jours plus tard, elle ne se souvenait plus de rien).

Manipulés par les policiers, Santana et les quatre autres jeunes s'étaient accusés les uns les autres lors d'interrogatoires filmés, croyant pouvoir ainsi recouvrer rapidement leur liberté. Ils furent reconnus coupables sur la foi de ces témoignages, malgré les incohérences de l'enquête, des analyses ADN non concluantes et des erreurs de procédure.

C'était à l'époque où New York était déchiré par les tensions raciales et traumatisé par une criminalité rampante, comme la rappelle le documentaire The Central Park Five de Ken Burns présenté en 2012. Et la pub de Donald Trump avait ajouté à l'hystérie ambiante, entretenue par les médias et les politiciens, dont le maire de New York Ed Koch qui avait traité les suspects d'«animaux». Quand on demande à Raymond Santana comment il a réagi, à l'époque, à l'appel d'un «célèbre» New-Yorkais comme Trump, il répond: «Pour moi, il n'était pas célèbre. Il était juste une voix parmi d'autres qui réclamaient notre exécution, notre castration, ou qui envoyaient des menaces de mort à nos proches.»

Huit ans de prison

Raymond Santana a purgé une peine de huit ans de prison. Il a été innocenté en 2002 après que Matias Reyes, un violeur en série, a confessé être l'auteur du viol de Trisha Meili. Les seuls échantillons d'ADN retrouvés sur le corps de la victime étaient les siens.

Et après un long combat judiciaire, les cinq de Central Park ont obtenu en juin 2014 de la Ville de New York une indemnisation de 40 millions de dollars. La réaction de Donald Trump à cet accord ne l'a pas grandi aux yeux de Raymond Santana, qui a connu plusieurs années difficiles après sa sortie de prison.

«Il a dit que c'était l'un des plus grands vols de l'histoire de New York, se souvient-il. Il nous traite aujourd'hui de voleurs après nous avoir qualifiés de meurtriers. Ça prouve juste une chose: cet homme n'est pas digne d'être président.»

Mais Raymond Santana se console. Car il ne croit pas que Donald Trump puisse convaincre l'ensemble des Américains de l'élire à la présidence.

«Il passe pour un gars qui dit ce qu'il pense vraiment, et les gens aiment ça, dit-il. Mais tout ça n'est qu'un écran de fumée. Il exploite les peurs des gens. Il dit qu'il va annihiler l'État islamique. Mais quel est son plan? Il n'a pas de plan. Quand les gens vont s'en rendre compte, tout va s'écrouler pour lui.»