L'année 2015 aura été marquée par diverses manifestations antiracistes dans les universités américaines. Sur les campus de Princeton et de Yale, la lutte se poursuivra en 2016 afin que soient rebaptisés des bâtiments honorant le 28e président des États-Unis, Woodrow Wilson, favorable à la suprématie blanche, et un vice-président du XIXe siècle, John Calhoun, défenseur de l'esclavage. Mais le militantisme étudiant a parfois porté sur des enjeux surréalistes. Tour d'horizon.

Oberlin

Qu'y a-t-il donc de controversé dans le fait d'offrir, sur le menu d'une cafétéria universitaire, un plat chinois - le poulet du général Tao -, un sandwich vietnamien - le bánh mi - et un mets japonais - le sushi?

Sur le campus de l'Oberlin College, en Ohio, où les droits de scolarité annuels s'élèvent à 50 000$, des étudiants se sont mobilisés récemment pour dénoncer l'«appropriation culturelle» à laquelle se sont livrés les responsables de leur cafétéria en offrant ces choix alimentaires. Ceux-ci ont été accusés d'avoir dénaturé la recette traditionnelle du poulet du général Tao en y mettant du poulet bouilli plutôt que frit, celle du bánh mi en utilisant du pain ciabatta plutôt que du pain baguette et celle du sushi en entourant du poisson non frais d'un riz pas assez cuit.

«La présentation non éclairée de mets culturels a été notée par plusieurs étudiants, qui ont exprimé leur préoccupation à l'égard de la manipulation grossière de recettes traditionnelles», a écrit l'Oberlin Review, journal étudiant du collège, qui a consacré plusieurs articles à ce sujet.

Après une rencontre avec des étudiants, la direction d'Oberlin a fait son mea culpa, il y a exactement une semaine: «Dans nos efforts pour fournir un menu riche, nous avons récemment été fautifs dans la préparation de plusieurs plats d'une manière qui était culturellement inappropriée.»

Yale

Erika Christakis finira peut-être par en rire. Après tout, elle est l'unique universitaire américaine à avoir démissionné de son poste après avoir soulevé un tollé en exprimant une opinion sur les déguisements d'Halloween.

Le sujet peut sembler banal pour le commun des mortels, mais le comité des affaires interculturelles de l'Université Yale a averti les étudiants en octobre qu'il serait inapproprié de porter des déguisements d'Halloween marquant une appropriation culturelle. 

En clair, les étudiants étaient invités à oublier les panaches de plumes, les turbans et le blackface, entre autres clichés culturels jugés offensants.

Christakis, professeure d'éducation de la petite enfance, a réagi à cette directive dans un courriel envoyé aux étudiants de la résidence universitaire dont elle a la responsabilité avec son mari, professeur de sociologie: «Je pose la question sans chercher la provocation: n'est-il plus possible pour les enfants et les jeunes d'être un peu désagréables? N'ont-ils pas le droit de se montrer un peu provocants, un peu incorrects et, oui, un peu offensants?»

Loin de défendre son droit de parole, des centaines d'étudiants ont réagi avec colère, réclamant la démission de Christakis et prenant à partie son mari.

Le 7 décembre, Yale a annoncé la démission de Christakis, qui a plus tard dénoncé un climat à Yale «non propice au dialogue civil et à l'ouverture nécessaires pour régler nos problèmes sociaux les plus urgents».

Amherst

À la mi-novembre, des étudiants de l'Amherst College, au Massachusetts, ont entamé un sit-in «en solidarité avec les étudiants de (l'Université du Missouri), d'Afrique du Sud et de tous les autres établissements de par le monde où les Noirs sont marginalisés et menacés».

Au cours des jours suivants, ils ont formulé leurs propres demandes, dont l'une devrait mener à un changement concret. La direction devrait enterrer la mascotte du collège, surnommée Lord Jeff en l'honneur de Jeffery Ahmerst, cet officier anglais qui suggéra de distribuer des couvertures contaminées par la petite vérole pour vaincre les Indiens.

Mais la direction a fait la sourde oreille à la plupart des 11 demandes des étudiants. Elle a notamment refusé de s'opposer publiquement à l'apparition sur le campus de certaines affiches critiquant le mouvement «Black Lives Matter» ou affirmant que «la vraie victime des manifestations du Missouri» était la «liberté d'expression».

Elle a aussi refusé de soumettre les auteurs de telles affiches à «une formation approfondie sur le savoir-faire culturel et racial».

Smith

La liberté d'expression a également été malmenée au Smith College, un autre établissement du Massachusetts où des centaines d'étudiants ont tenu un sit-in à la mi-novembre en solidarité avec les étudiants de l'Université du Missouri. Pour ménager aux étudiants un «espace sûr», les organisateurs ont interdit aux journalistes «neutres» de couvrir cette activité.

«Nous demandons aux journalistes désireux de couvrir notre histoire de participer ou d'exprimer leur solidarité à l'égard des étudiants noirs et de couleur, a déclaré une responsable de l'activité. En adoptant une position neutre, les journalistes et les médias sont suffisants à l'égard de notre combat.»

La direction du Smith College n'a rien trouvé à redire de ce mot d'ordre sans précédent dans l'histoire de l'alma mater de Molly Ivins, Meg Greenfield et autres journalistes qui n'avaient pas peur de leur ombre.

Obama s'en mêle

Dans une entrevue de fin d'année accordée à la chaîne NPR, Barack Obama a exprimé son appui au militantisme étudiant, tout en s'inquiétant de l'intolérance de certains manifestants à l'égard des opinions opposées.

«Sentez-vous libres d'être en désaccord avec quelqu'un, mais n'essayez pas de le faire taire, a déclaré le président. Si quelqu'un est opposé à la discrimination positive, vous pouvez être en désaccord avec lui - je suis en désaccord avec lui -, mais ayez un débat avec lui. Il est possible de ne pas être raciste et de vouloir une société juste tout en croyant que [la discrimination positive] n'est pas permise par la Constitution.»