La Cour suprême des États-Unis est apparue mercredi très divisée sur la question ultra-sensible de la discrimination positive à l'entrée à l'université, perversion de l'égalité des chances selon certains, seul moyen de garantir la diversité selon les autres.

Les coups portés lors des débats par le camp conservateur font planer le risque d'une suppression de ce mécanisme emblématique, une décision qui ferait l'effet d'un coup de tonnerre sur des campus américains déjà fortement agités.

Exprimant ouvertement son scepticisme, le juge Antonin Scalia a notamment suscité l'émoi en évoquant une opinion en vogue chez certains opposants à la discrimination positive, selon laquelle une «école au rythme plus lent» serait mieux adaptée à la réussite des Afro-Américains.

Souvent issus de milieux défavorisés, les Noirs et les Hispaniques sont généralement sous-représentés dans l'éducation supérieure aux États-Unis et les rares élus se plaignent d'être isolés, voire victimes de comportements racistes.

En l'espèce, la haute instance siégeant à Washington s'est penchée sur le recours d'Abigail Fisher, une jeune fille qui assure avoir été refusée de l'université du Texas car elle était blanche.

«Qu'on soit un garçon ou une fille, Blanc ou Noir, seuls les mérites devraient être pris en compte et aucun autre facteur», avait-elle affirmé.

La controverse remonte à 2008 et, depuis, Mlle Fisher est sortie diplômée en 2012 d'une autre université.

Sept ans de débat juridique

Mais son action judiciaire a elle suivi son chemin, y compris une première fois devant la Cour suprême, en octobre 2012.

Les juges ne s'étaient alors pas prononcés sur le fond, demandant à une cour d'appel du Texas de revoir sa copie.

Celle-ci avait débouté la jeune femme, d'où le retour à la Cour suprême, devant laquelle se sont rassemblés mercredi des militants des droits civiques.

Cette fois-ci, les enjeux sont en effet bien supérieurs pour le concept même de la discrimination positive, que ses adversaires présentent comme dépassé, inéquitable et inefficace.

Ce n'est pas l'avis de Sherrilyn Ifill, une responsable de la NAACP, la plus importante organisation de défense des Afro-Américains.

«La discrimination positive est conçue au bénéfice de tous les étudiants, elle est conçue pour assurer que la voie vers les postes à responsabilité reste ouverte aux étudiants issus de minorités (ethniques), mais elle sert aussi à offrir aux futurs dirigeants un environnement éducationnel avec des voix et des expériences variées», explique-t-elle.

À l'université du Texas, le nombre de Noirs inscrits a quasiment doublé de 2004 à 2007 grâce à la discrimination positive, ceux-ci ne dépassant toutefois pas 6% du total des étudiants.

Concrètement, l'établissement a mis en place un système hybride, permettant aux élèves arrivés parmi les meilleurs 10% de leur classe d'intégrer la première année.

Pour le quart des places restantes, le système de recrutement prend en considération un ensemble d'éléments, dont l'origine ethnique.

«Que reprochez-vous à ce dispositif?», a interrogé mercredi la juge d'origine portoricaine Sonia Sotomayor, fervente partisane de la discrimination positive.

«Il sert à favoriser une race», alors que l'admission offerte aux 10% des meilleurs étudiants de la région suffirait à obtenir la «diversité» visée, lui a répondu Bert Rein, l'avocat de Abigail Fisher.

Quatre juges contre quatre 

À l'opposé, les représentants du Texas ont rappelé que la suppression de la discrimination positive dans d'autres universités s'était traduite par un effondrement des admissions de Noirs.

Ce mercredi, seuls huit juges sur les neuf composant la Cour suprême étaient présents, la magistrate Elena Kagan ayant été récusée pour s'être déjà occupée du dossier Fisher dans ses précédentes fonctions.

Fidèle à son habitude, le seul juge afro-américain de la cour, Clarence Thomas, est resté discret lors des débats.

En cas d'absence de majorité (quatre contre quatre), le jugement d'appel resterait valide. Le juge Anthony Kennedy devrait confirmer son statut d'arbitre sur les sujets sensibles de la société américaine.

Dans une décision emblématique de 1978 réaffirmée en 2003, la Cour suprême des États-Unis avait validé une possibilité très encadrée d'utiliser l'origine ethnique parmi une foule d'autres facteurs pour entrer à l'université, tout en interdisant l'instauration de quotas raciaux automatiques.

La haute cour avait fixé une période d'application s'achevant au plus tard en 2028.

Plusieurs États américains, dont le Michigan et la Californie, interdisent le recours à la discrimination positive dans le recrutement des étudiants.