Les révélations d'Edward Snowden sur les programmes de surveillance américains nuisent à l'identification des «sociopathes meurtriers» du groupe État islamique. En exprimant cette opinion lundi, quelques jours seulement après les attentats de Paris, le directeur de la CIA John Brennan a relancé le débat aux États-Unis sur les besoins en matière de sécurité et la protection de la vie privée. Tour d'horizon.

Y a-t-il du vrai dans l'opinion du patron de la CIA ?

Timothy Edgar, ancien conseiller de l'administration Obama en matière de renseignement, n'est pas un grand admirateur d'Edward Snowden. Mais il juge que John Brennan tire des conclusions prématurées en établissant un lien entre les révélations de l'ancien analyste de l'Agence de sécurité nationale et les difficultés des services du renseignement à identifier les terroristes de l'EI.

« Nous ne savons pas encore ce qui s'est passé », dit Timothy Edgar, qui est aujourd'hui chargé de cours invité à l'Université Brown. « C'est pourquoi je pense que nous devrions avoir une commission d'enquête sur les attentats de Paris comme celle qui a suivi les attentats du 11-Septembre. Je ne pense pas que des hauts fonctionnaires comme John Brennan agissent de façon responsable en s'exprimant avant d'avoir plus d'information sur les failles du renseignement qui ont empêché la détection ou la prévention des attentats à Paris. »

L'adoption de nouvelles technologies de cryptage n'est-elle pas une des conséquences des révélations de Snowden ?

La réponse ne fait pas de doute pour le directeur de la CIA, qui a lancé lundi une mise en garde contre ces technologies. Selon John Brennan, elles « rendent extrêmement difficiles pour les services de surveillance d'avoir accès aux éléments nécessaires » pour prévenir d'éventuelles attaques. La veille, en évoquant les attentats de Paris, l'ex-directeur adjoint de la CIA Michael Morell avait fait le même constat. « Je pense qu'on va découvrir que ces gens communiquent avec des applications commerciales de cryptage qui sont très difficiles, voire impossibles à casser pour le gouvernement ».

Sur ce point, Timothy Edgar n'a rien à redire. Selon lui, les révélations de Snowden ont pu avoir un « impact » sur l'adoption de nouvelles technologies de cryptage. « Nous savons que l'EI a déjà utilisé des outils de cryptage et autres technologies pour éviter d'être détecté. C'est probablement en partie une conséquence de la publicité qui a été faite au cours des deux dernières années autour du manque de sécurité des communications. Et cette publicité est due en partie à Edward Snowden. Mais nous avons besoin d'une enquête approfondie pour savoir ce qui s'est passé à Paris. Une fois que nous aurons tous les faits, nous pourrons penser à ce que pourrait être une réponse intelligente en matière de politique. »

Les entreprises de technologies devront-elles revoir leur politique concernant le cryptage ?

La question, comme tout ce qui touche les communications cryptées, n'est pas simple, selon James Lewis, spécialiste du renseignement au Centre d'études stratégiques et internationales, un groupe de recherche de Washington. « Certaines entreprises offrent des produits de cryptage qui ne posent pas de difficultés aux services de renseignement. Dans certains cas, ce ne sont pas ces services qui sont gênés, mais le FBI. La NSA peut être capable d'obtenir des informations à partir d'une communication cryptée, mais celles-ci ne peuvent être utilisées en cour. »

James Lewis souligne d'autre part la différence entre les moyens des services de renseignement américains et ceux des autres pays. « Ce qui peut représenter une difficulté pour la France, le Royaume-Uni ou certainement la Belgique n'en constitue pas nécessairement une pour les États-Unis. Cela dit, de façon générale, le cryptage n'a pas joué un rôle aussi important que vous pourriez le penser dans les attentats de Paris, compte tenu de ce que nous savons. »

Après les attentats de Paris, comment devrait s'orienter le débat entre sécurité et vie privée ?

En tant qu'expert du renseignement, James Lewis a toujours préconisé une plus grande transparence de la part de la NSA. Mais il croit que les critiques de l'agence ont exagéré les dangers de ses programmes de surveillance. Et il espère que les attentats de Paris contribueront à recadrer le débat. « Nous devons nous demander si la réaction émotionnelle aux révélations de Snowden était logique. Quand vous allez sur n'importe quel site internet, il y a habituellement plus d'une douzaine de logiciels qui suivent votre comportement. C'était un peu hypocrite de dire que Snowden et compagnie oeuvraient à la protection de notre vie privée. »