Dimanche dernier, lors d'une interview télévisée, Ben Carson, candidat républicain à la présidence, a exprimé son opposition «à l'idée de mettre un musulman à la tête de cette nation». Une semaine plus tard, cet Afro-Américain de 64 ans a rejoint Donald Trump en tête de la course à l'investiture de son parti pour la Maison-Blanche, selon un sondage NBC News/Wall Street Journal. Simple hasard?

Neurochirurgien à la retraite, Ben Carson a un parcours digne d'Hollywood, qui a d'ailleurs déjà tiré de ses mémoires un téléfilm (Des mains en or) mettant en vedette Cuba Gooding Jr. Né dans un quartier pauvre de Detroit, il a été élevé par une mère fonctionnellement analphabète qui le forçait à lire deux livres par semaine et à en faire un compte rendu écrit qu'elle prétendait par la suite corriger.

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Diplômé de Yale et de l'Université du Michigan, il est devenu, à 33 ans, le plus jeune chef du service de neurochirurgie pédiatrique de l'hôpital Johns Hopkins, à Baltimore, où il a fait oeuvre de pionnier dans son domaine.

Positions controversées

À certains égards, Ben Carson est l'antithèse de Donald Trump. Malgré sa réussite professionnelle, il respire la modestie et parle d'une voix douce. Mais ce conférencier populaire auprès des militants du Tea Party et de la droite religieuse défend des croyances et des positions aussi controversées que celles de l'homme d'affaires milliardaire. Membre de l'Église adventiste, il croit à la création des cieux et de la terre en six jours. Il compare les États-Unis sous Barack Obama à l'Allemagne nazie. Il qualifie l'Obamacare «de pire chose qui soit arrivée à ce pays depuis l'esclavage». Et il affirme que l'homosexualité est «absolument» un choix.

La semaine dernière, après avoir soulevé un tollé en s'opposant à l'idée d'un musulman à la présidence, il a tenté de nuancer son propos. Lors d'une conférence de presse, il s'est ainsi dit ouvert à l'idée d'un président issu d'un milieu musulman à condition que celui-ci rejette les «principes» de l'islam et qu'il «jure clairement de placer notre Constitution au-dessus de sa religion».

«Bien sûr, il serait considéré comme un infidèle et un hérétique, mais je serais alors prêt à le soutenir», a déclaré le candidat.

Les nuances de Ben Carson n'ont satisfait aucun de ses critiques. Et elles n'ont surtout pas empêché plusieurs commentateurs conservateurs de défendre sa déclaration originale. «Si vous examinez la charia, vous n'y trouverez aucune cohérence avec la Constitution américaine», a déclaré l'animateur de radio Rush Limbaugh lundi dernier. «La charia est la loi qui est utilisée pour décapiter les femmes qui ont été violées dans les pays islamiques. La charia est la raison pour laquelle les femmes ne peuvent conduire dans les pays islamiques. La charia est incompatible avec la Constitution américaine. Ben Carson ne pourrait pas avoir plus raison.»

Le neurochirurgien retraité s'est lui-même félicité d'avoir reçu plus de 1 million de dollars en donations dans les 24 heures qui ont suivi son interview à l'émission Meet the Press. «L'argent arrive tellement vite qu'on a du mal à garder le compte», a-t-il déclaré.

Et il peut aujourd'hui se réjouir en consultant les résultats du sondage NBC/Wall Street Journal, qui le crédite de 20% des intentions de vote chez les républicains, contre 21% pour Donald Trump et 11% pour Carly Fiorina et Marco Rubio.

L'influence du pape

L'ironie veut que la montée de Ben Carson ait coïncidé avec la tournée américaine du pape François, qui représente une religion dont les adeptes ont jadis été ostracisés aux États-Unis. Jusqu'à la présidence de John Kennedy, bon nombre d'Américains protestants ne voulaient pas d'un catholique à la Maison-Blanche sous prétexte qu'il serait soumis à l'autorité du pape.

Certains rivaux républicains de Ben Carson, faut-il le préciser, l'ont critiqué. «Vous savez que la Constitution spécifie qu'aucune profession de foi religieuse n'est exigée pour exercer des charges publiques, et je suis un constitutionnaliste», a notamment déclaré le très conservateur sénateur du Texas, Ted Cruz.

Mais il reste que la course à l'investiture républicaine est aujourd'hui dominée par deux candidats qui légitiment ou exploitent la peur et la haine des immigrés ou des musulmans.

Et Ben Carson a poursuivi dans la même veine hier à CNN. Après avoir posé de nouveau ses conditions à l'éligibilité d'un candidat musulman à la présidence, il a ajouté cette question qui tue: «Pourquoi en fait prendriez-vous ce risque?»