Tous les 90 jours, depuis 1972, les membres d'une commission de la Louisiane se réunissent pour décider des conditions de détention d'Albert Woodfox. La question à laquelle ils doivent répondre est toujours la même: cet Afro-Américain, aujourd'hui âgé de 68 ans, doit-il continuer à être maintenu à l'isolement, 23 heures sur 24 (23 heures et 45 minutes le week-end), dans une cellule d'environ deux mètres sur trois.

Et la réponse ne change jamais: oui. Pourquoi? Parce que Woodfox a tué un gardien de prison, Brent Miller, répètent les autorités judiciaires de l'État. Mais sa condamnation n'a-t-elle pas été cassée pour une deuxième fois en février dernier? Et la veuve de Miller ne croit-elle pas elle-même en l'innocence du prisonnier, le dernier des «Angola Three» encore détenu?

«L'État de Louisiane ne veut pas mettre fin à l'isolement d'Albert parce que ce serait admettre une erreur», soutient Angela Allen-Bell, professeure de droit à la Southern University de Baton Rouge et membre du comité de soutien de l'ancien militant des Black Panthers. «Et cet acharnement est dû en bonne partie au refus d'Albert d'abandonner sa poursuite civile contre l'État concernant son maintien à l'isolement», ajoute-t-elle au cours d'un entretien téléphonique.

Bientôt terminé?

Mais le cauchemar d'Albert Woodfox, qui tient à la fois de Kafka et d'Orwell, tire peut-être à sa fin. Le 8 juin, un juge fédéral a ordonné sa remise en liberté immédiate et sans condition, invoquant des «preuves» de l'«innocence» du détenu et cinq «circonstances exceptionnelles», dont son âge, son mauvais état de santé et le préjudice résultant de son maintien à l'isolement pendant plus de 40 ans.

Le ministre de la Justice de Louisiane a aussitôt interjeté appel de cette décision, qui lui interdit notamment d'intenter un troisième procès à Woodfox pour le meurtre du gardien de prison. Le 12 juin, un tribunal fédéral a ordonné le maintien en détention de Woodfox pendant la procédure d'appel.

«J'ai été atterrée par cette décision», raconte Angela Allen-Bell, qui est en contact avec Woodfox depuis 2011. «Et c'est Albert qui m'a remonté le moral. À travers toutes ces épreuves, il a réussi à survivre et à maintenir son équilibre mental en se refusant de voir au-delà du moment présent. Je suis allé le visiter le 11 juin pour lui demander quels vêtements il souhaitait porter s'il était libéré le lendemain. Il n'a pas voulu pas me répondre.»

Les «Angola Three»

Albert Woodfox a été condamné à la fin des années 60 pour vol à main armée et envoyé au centre pénitentiaire de Louisiane. Surnommée «Angola» en souvenir du nom d'une des plantations sur lesquelles elle a été construite, cette prison était connue à l'époque pour sa corruption, sa ségrégation, ses viols et ses meurtres impliquant autant les détenus que les gardiens. En 1971, Woodfox et deux codétenus - Herman Wallace et Robert King - y ont fondé une section des Black Panthers, groupe de libération des Noirs, organisant des pétitions et des grèves de faim pour changer les conditions d'incarcération. Un an plus tard, Brent Miller, un gardien blanc âgé de 23 ans, a été poignardé à 32 reprises lors d'une révolte de prisonniers.

Aucune preuve physique ne reliait Woodfox ou Wallace à ce meurtre. Sur la foi de témoignages de codétenus, dont un violeur récidiviste, ceux-ci ont néanmoins été accusés et condamnés pour le meurtre du gardien. King n'a pas été inculpé mais, comme les deux autres, il a passé des décennies en isolement après la mort du gardien.

Au fil des années, plusieurs individus et organisations, dont Amnesty International, ont adopté la cause des «Angola Three», qui ont notamment fait l'objet de deux documentaires. Ils ont dénoncé non seulement les condamnations de Woodfox et Wallace pour le meurtre du gardien, les mettant sur le compte de leur appartenance aux Black Panthers, mais également leur isolement cellulaire.

Mesure «cruelle»

Atteint d'un cancer du foie, Wallace a été libéré pour des raisons humanitaires par un juge le 1er octobre 2013. Le lendemain, le ministre de la Justice de Louisiane en a appelé de cette décision. Le surlendemain, Wallace est mort. Remis en liberté en 2001, King milite aujourd'hui contre l'isolement cellulaire. Selon Amnesty International, cette mesure «cruelle et inhumaine» est infligée à 80 000 détenus aux États-Unis.

Quant à Albert Woodfox, il sait déjà à quelle cause il entend se vouer s'il est remis en liberté à la fin d'une procédure d'appel accélérée, qui pourrait survenir dès le mois d'août.

«Une des choses qu'il veut faire est de jouer un rôle de mentor auprès de jeunes garçons qui ont grandi sans père, comme lui», raconte Angela Allen-Bell. «Lors d'une de nos conversations récentes, je lui ai rappelé en riant que ses ennuis en prison ont commencé quand il a voulu aider les autres. Je lui ai dit: "Ne devrais-tu pas être un peu plus égoïste?" Il a répondu: "Non, c'est ça que je dois faire".»