Quelques jours après la fusillade de Charleston dans laquelle neuf Noirs ont perdu la vie, Barack Obama a dénoncé les tenaces divisions raciales qui demeurent au sein de la société américaine, prononçant le mot «nègre» pour mieux appuyer sa démonstration.

«Nous ne sommes pas guéris du racisme»: dans un entretien au ton parfois très personnel, le premier président noir des États-Unis a longuement abordé cette question sensible, insistant sur l'ombre pesante de l'esclavage dans un pays où la ségrégation a été abrogée il y a seulement un demi-siècle dans certains États du Sud.

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«L'héritage de l'esclavage, des (lois de ségrégation raciale) Jim Crow, de la discrimination dans presque tous les compartiments de nos vies, cela a eu un impact durable et cela fait toujours partie de notre ADN», a expliqué M. Obama dans l'émission radio «WTF with Marc Maron», enregistrée vendredi à Los Angeles --deux jours après la fusillade sanglante--, mais diffusée lundi matin.

«Les sociétés n'effacent pas complètement, du jour au lendemain, ce qui s'est passé 200 ou 300 ans plus tôt», a-t-il poursuivi.

Preuve du caractère extrêmement insultant de ce mot - que certaines télévisions américaines ont décidé de censurer lors de la diffusion de ce passage - le porte-parole de la Maison-Blanche a été longuement interrogé sur le sujet.

Reconnaissant que c'était la première fois que M. Obama l'utilisait lors d'un entretien (il l'avait en revanche écrit dans l'un de ses livres), Josh Earnest a expliqué que le président ne regrettait aucunement de l'avoir prononcé et avait voulu insister sur la nécessité d'un débat en profondeur.

Durant la campagne de 2008, M. Obama avait abordé frontalement la question des relations entre Noirs et Blancs lors d'un discours à Philadelphie, après une controverse sur des propos incendiaires de son ancien pasteur Jeremiah Wright. «Le racisme est un problème que ce pays ne peut se permettre d'ignorer», avait-il lancé.

«La marche n'est pas terminée»

Depuis son arrivée à la Maison-Blanche pourtant, il a souvent fait preuve d'une grande prudence sur ce thème, certains de ses partisans déplorant régulièrement l'absence d'une réaction plus forte  --et plus personnelle-- à chaque fois qu'un incident faisait resurgir le spectre du racisme.

Dans l'entretien diffusé lundi, M. Obama, né d'une mère américaine et d'un père kényan, évoque aussi son enfance et son rapport à sa couleur de peau. Il raconte comment il a appris à se positionner «comme Africain-Américain, mais aussi comme quelqu'un qui revendique le côté blanc de sa famille». «J'essayais de comprendre comment j'étais vu et perçu en tant qu'homme noir aux États-Unis».

Mais le président américain met aussi en garde contre la tentation de réécrire l'histoire ou de minimiser les progrès accomplis, soulignant que les relations raciales se sont sensiblement améliorées au cours des 50 dernières années: «Les opportunités se sont développées, les attitudes ont changé. C'est un fait», a-t-il expliqué. «Ne dites pas que rien n'a changé», a-t-il martelé.

«Les progrès sont réels et sont une source d'espoir. Mais ce qui est également bien réel est que la marche n'est pas terminée», a ajouté le président, en référence à son discours prononcé début mars à Selma, petite ville de l'Alabama devenue symbole de la lutte non violente pour les droits civiques.

Devant le pont Edmund Pettus sur lequel, il y a cinquante ans, plusieurs centaines de manifestants pacifiques furent violemment pris d'assaut par la police, M. Obama avait appelé à la lucidité et à la vigilance.

La répression sanglante de cette marche bouleversa l'Amérique et aboutit quelques mois plus tard au Voting Rights Act, qui garantissait à tous le droit de vote en supprimant un nombre incalculable d'obstacles qui se dressaient sur la route des Noirs désireux de s'inscrire sur les listes électorales.

«Si nous arrivions à faire autant de progrès au cours des dix années à venir que nous en avons faits au cours des 50 dernières, les choses iraient beaucoup mieux», a conclu M. Obama. «Et c'est faisable. C'est à notre portée».