Après avoir présenté ses excuses d'une voix émue, Barack Obama a accepté hier la «pleine responsabilité» d'une attaque de drone qui a tué accidentellement deux otages en janvier au Pakistan, dont un Américain détenu par Al-Qaïda depuis 2011. L'admission du président américain a soulevé plusieurs questions, mettant notamment en cause la qualité des renseignements de la CIA. Décryptage.

Q: Comment l'administration américaine explique-t-elle une telle bavure?

R: Selon la Maison-Blanche, des centaines d'heures de surveillance ont précédé l'opération de janvier. Cette surveillance a convaincu les responsables de la CIA qu'aucun civil ne se trouvait à l'intérieur du complexe situé à la frontière pakistano-afghane et que capturer les suspects de terrorisme présents était impossible. Bref, les responsables de la CIA ont suivi à la lettre les critères devant encadrer les frappes de drones à l'étranger, a précisé la Maison-Blanche, tout en refusant de confirmer l'usage de drones, le rôle de l'agence de renseignement et le lieu de l'opération. Or, il y avait sur la base au moins deux travailleurs humanitaires - l'Américain Warren Weinstein et l'Italien Giovanni Lo Porto - le jour où la CIA a décidé de profiter d'une réunion de membres d'Al-Qaïda pour attaquer le complexe. «Je regrette profondément ce qui est arrivé», a dit Barack Obama en présentant ses «excuses les plus sincères aux familles».

Q: Des dirigeants américains d'Al-Qaïda étaient-ils ciblés?

R: La Maison-Blanche a répondu à cette question par la négative, tout en admettant qu'Ahmed Farouq, citoyen américain et personnalité influente d'Al-Qaïda, a également été tué dans l'opération qui a coûté la vie aux otages occidentaux. La Maison-Blanche a confirmé une autre opération américaine menée en janvier et qui a tué un autre citoyen américain converti au djihadisme, Adam Gadahn, qui servait de propagandiste à Al-Qaïda. Selon les critères encadrant les frappes de drones à l'étranger, une analyse juridique supplémentaire doit être engagée par le département de la Justice si la CIA se doute qu'une de ses cibles est un citoyen américain.

Q: Pourquoi le président a-t-il attendu trois mois avant d'annoncer la mort des otages?

R: Ni Barack Obama ni son porte-parole n'ont fourni une réponse claire à cette question. En temps normal, il peut se passer quelques semaines avant que les responsables américains ne soient en mesure d'identifier les victimes d'une attaque de drone. Hier, lors de sa déclaration à la Maison-Blanche, le président a justifié sa décision de déclassifier les informations sur la bavure américaine en affirmant que les familles de Warren Weinstein et Giovanni Lo Porto «méritaient de connaître la vérité». «Les États-Unis sont une démocratie, attachée à la transparence dans les bons moments comme les mauvais. C'est une vérité cruelle et amère que, dans le brouillard de la guerre en général et dans notre combat contre le terrorisme en particulier, des erreurs, des erreurs parfois mortelles, peuvent survenir», a-t-il dit.

Q: Comment la famille de Warren Weinstein a-t-elle réagi?

R: Dans une déclaration diffusée peu après l'intervention de Barack Obama à la Maison-Blanche, Elaine Weinsten, femme de l'otage américain, a accusé le groupe Al-Qaïda de porter «la responsabilité ultime» de la mort de son mari. Mais elle a aussi critiqué l'assistance «décevante et irrégulière» apportée par l'administration américaine à sa famille depuis la capture de son mari. Elle a exprimé le souhait que le décès de son mari et celui des autres otages «inciteront enfin le gouvernement américain à prendre ses responsabilités sérieusement et à établir une approche coordonnée et cohérente pour soutenir les otages et leurs familles». Elle a aussi critiqué le gouvernement pakistanais. Âgé de 73 ans, père de deux filles et deux fois grand-père, Warren Weinstein a été capturé dans son appartement de Lahore, le 13 août 2011, à deux jours de son retour au Maryland, où se trouvait sa résidence. Parlant l'ourdou, il travaillait pour une société privée qui menait des projets de développement pour divers clients, dont le gouvernement américain. L'autre otage, Giovanni Lo Porto, coopérant expérimenté, était au Pakistan depuis trois jours seulement lorsqu'il a été kidnappé, en janvier 2012. Il avait vu le jour à Palerme, en Sicile, il y a 39 ans.

Q: Cette bavure remettra-t-elle en question le programme de drones américain?

R: Barack Obama a révélé hier qu'il avait ordonné une révision de ce programme afin d'éviter toute répétition de la bavure qui a tué deux otages occidentaux. Mais ce programme n'est pas près de mourir. Le nombre d'attaques de drones a certes diminué de façon importante au Pakistan, mais ces frappes continueront à faire partie de l'arsenal préféré de Barack Obama pour éliminer de hauts dirigeants opérationnels de groupes terroristes.