En publiant un reportage sur un présumé viol collectif dans une université américaine, le magazine Rolling Stone a contrevenu aux règles les plus élémentaires de l'enquête journalistique. Une erreur qui fait mal à la publication, à l'université et... au journalisme en général.

Que s'est-il passé pour que le magazine Rolling Stone, une institution du journalisme américain, tombe ainsi de son piédestal?

En novembre dernier, le magazine, sous la plume de sa journaliste Sabrina Rubin Erdely, a publié A Rape on Campus, un reportage explosif de 9000 mots. Dans ce texte-fleuve, une jeune femme nommée «Jackie» (un pseudonyme) racontait avoir été violée deux ans plus tôt par sept étudiants de la Fraternité Phi Kappa Psi de l'Université de Virginie. Ce viol était leur «initiation» pour être admis à la Fraternité, affirmait la jeune femme, qui disait aussi que l'université avait tenté d'étouffer l'affaire. Les Américains étaient sous le choc. Il y a eu des manifestations devant la Fraternité. Mais le reportage a aussi piqué la curiosité de journalistes, dont ceux du Washington Post, qui ont enquêté à leur tour. Pour constater que l'histoire était complètement fausse.

Qu'a fait le magazine Rolling Stone?

Au départ, les patrons du magazine se sont confondus en excuses et ont retiré le texte du site web. Mais les critiques n'ont pas cessé pour autant. A Rape on Campus s'est attiré les titres peu enviables d'«erreur de l'année» et de «pire journalisme de 2014». Le Rolling Stone a finalement demandé au doyen du département de journalisme de l'Université Columbia d'enquêter sur la fabrication du reportage afin de comprendre ce qui avait bien pu se passer.

Qu'ont-ils trouvé?

Une série d'erreurs graves qui vont à l'encontre du b.a.-ba de l'enquête journalistique. En gros, la journaliste n'avait vérifié aucune des allégations de la présumée victime «Jackie». Sabrina Rubin Erdely n'a pas parlé aux trois copains à qui «Jackie» disait s'être confiée ni aux présumés coupables de la Fraternité. Les auteurs du rapport de Columbia, rendu public le soir de Pâques, ont conclu que «les rédacteurs, éditeurs et vérificateurs du magazine Rolling Stone ont carrément renoncé au scepticisme qu'exige leur profession».

Comment le Rolling Stone a-t-il accueilli le rapport?

Les patrons du magazine - qui publient le rapport de Columbia sur leur site ainsi qu'en version abrégée dans l'édition papier du magazine qui paraît aujourd'hui - assurent que l'erreur ne se reproduira plus. Mais ils semblent blâmer davantage la pseudo-victime que leur journaliste. Ils estiment que leur système de vérification des faits est adéquat. Finalement, tout se passe comme s'ils déclaraient que «Jackie» est une bonne menteuse, et non pas que Sabrina Rubin Erderly est une mauvaise journaliste.

La journaliste en question a-t-elle démissionné?

Non. Selon une source anonyme citée dans le New York Times, elle prépare un autre reportage. De nombreux observateurs du monde journalistique, dont le professeur Jay Rosen de l'Université de New York, estiment toutefois que cette erreur est grave et qu'elle illustre un problème plus large encore, soit l'obsession des médias pour LA bonne histoire. En anglais, il y a un dicton: Don't let the facts ruin a good story. C'est exactement ce qui s'est produit au Rolling Stone. Et qui pourrait se produire ailleurs si les médias ne sont pas vigilants.

Quelles pourraient être les conséquences à long terme de toute cette affaire?

Le doyen du département de journalisme de Columbia, Steve Coll, qui a mené l'enquête, a dit souhaiter que les lacunes de ce reportage, et les réactions qu'il suscite, ne décourageront pas les victimes d'agressions sexuelles de raconter leur histoire. «Ce serait vraiment dommage si les journalistes cessaient de couvrir ce genre d'histoires à la suite de cette erreur, a déclaré M. Coll lors d'une conférence de presse lundi. C'est un travail difficile, mais c'est un travail important.»