Barack Obama et son vice-président Joe Biden ont dénoncé lundi les sénateurs républicains qui ont directement averti les dirigeants iraniens, dans une initiative inhabituelle, que tout accord sur le nucléaire pourrait être annulé par le prochain président américain.

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Dans une lettre ouverte adressée aux «dirigeants de la République islamique d'Iran», 47 des 54 sénateurs républicains, très sceptiques au sujet des négociations internationales, écrivent que seul le Congrès dispose du pouvoir de lever définitivement les sanctions américaines.

Ils leur écrivent qu'il est «possible que vous ne compreniez pas totalement notre système constitutionnel». Et soulignent que si Barack Obama a le pouvoir de suspendre les sanctions américaines contre l'Iran, son successeur pourra les rétablir d'un «simple trait de plume», car tout accord non approuvé par le Congrès reste du domaine exécutif.

Implicitement, ils signalent ainsi leur opposition à un éventuel accord politique entre le groupe 5+1 (États-Unis, Chine, Russie, France, Royaume-Uni et Allemagne) et l'Iran, dont les contours se dessinent à trois semaines de l'échéance de fin mars fixée par les négociateurs.

Pour influencer, voire faire échouer, ces discussions, ils ont placé depuis des mois la barre très haut, certains demandant le démantèlement total de l'infrastructure d'enrichissement, ou l'élargissement de tout règlement à des domaines comme le «soutien au terrorisme».

Leur mise en garde a été rejetée comme «sans valeur juridique» par le ministre iranien des Affaires étrangères, Mohammad Javad Zarif.

«Les sénateurs doivent savoir que selon le droit international, le Congrès ne pourra pas changer le contenu de l'accord et toute action du Congrès visant à empêcher l'application d'un éventuel accord sera une violation des engagements internationaux du gouvernement» américain, a dit M. Zarif, qui s'est ensuite lui-même adressé sur Twitter au jeune sénateur qui est à l'origine de la lettre, Tom Cotton.

Le président Barack Obama a regretté l'initiative républicaine.

«Il est assez ironique que certains parlementaires du Congrès fassent front commun avec les partisans iraniens d'une ligne dure», a commenté M. Obama dans la journée. «À ce stade, nous allons voir si nous pouvons parvenir à un accord, et si c'est le cas, nous pourrons le défendre devant les Américains».

Une lettre «indigne» 

Tard dans la soirée, son vice-président, Joe Biden, a sur un ton sévère condamné dans un long communiqué ses anciens collègues sénateurs, déclarant qu'en 36 ans de carrière parlementaire, il n'avait jamais vu des sénateurs écrire à un dirigeant étranger pour l'avertir que le président américain n'avait pas le pouvoir de conclure un accord.

«La lettre (...), expressément conçue pour affaiblir un président en exercice au milieu de négociations internationales sensibles, est indigne d'une institution que je révère», a déclaré Joe Biden.

«Cette lettre, sous prétexte de donner une leçon constitutionnelle, ne tient pas compte de deux siècles de tradition et menace de saper la capacité de tout futur président américain, qu'il soit démocrate ou républicain, de négocier avec d'autres pays au nom des États-Unis», ajoute-t-il, en citant quantité d'accords historiques négociés par des présidents sans l'aval du Congrès.

La missive illustre le caractère très partisan du dossier nucléaire iranien au Congrès, entièrement contrôlé par les républicains depuis janvier.

La semaine dernière, défiant la Maison-Blanche, les républicains ont invité le Premier ministre israélien Benyamin Nétanyahou à prononcer un discours entièrement consacré à l'Iran, et boudé par des dizaines d'élus démocrates.

Évoquant les contours d'un accord prévoyant une durée de 10 ans, et laissant à l'Iran une capacité d'enrichissement nucléaire, Tom Cotton a expliqué sur Fox News que «ces deux points à eux seuls (rendaient) cet accord inacceptable, dangereux pour les États-Unis et pour le monde».

Jusqu'à présent, la Maison-Blanche a réussi à contenir le Congrès. Deux propositions de loi sont en préparation, l'une prévoyant de nouvelles sanctions, et l'autre, la plus mûre, qui obligerait Barack Obama à soumettre au Congrès tout accord pendant 60 jours. Aucune date n'a été fixée pour un éventuel vote.

Le chef de la diplomatie américaine, John Kerry, reverra son homologue iranien dimanche 15 mars à Lausanne en Suisse, pour un nouveau cycle de négociations, après celui de Montreux la semaine dernière.

Les signataires «discrédités»

L'ex-secrétaire d'État de Barack Obama et possible candidate à la présidentielle de 2016, Hillary Clinton, a fermement condamné la lettre ouverte de sénateurs républicains.

«La récente lettre de sénateurs républicains s'est écartée des meilleures traditions de l'administration américaine et on doit s'interroger sur l'objectif de cette lettre», a déclaré Mme Clinton, lors d'une conférence de presse au siège de l'ONU.

Deux «réponses logiques» à cette question, a-t-elle poursuivi: «Soit ces sénateurs tentaient d'aider les Iraniens, soit de nuire au commandant en chef dans un dossier diplomatique international aux enjeux élevés».

Selon elle, «quelle que soit la réponse, elle discrédite les signataires de cette lettre».

«Le président et son équipe sont engagés dans d'intenses négociations. Leur objectif est de parvenir à une solution diplomatique qui barrerait la route de l'Iran vers la bombe nucléaire et nous donnerait un accès et un aperçu sans précédent du programme nucléaire iranien», a relevé Mme Clinton.

«Les personnes raisonnables peuvent ne pas être d'accord avec ce qui sera vraiment nécessaire pour parvenir à cet objectif, et nous devrons juger tout accord final au mérite», a-t-elle souligné.