Le gouvernement américain vient de se doter d'une nouvelle politique en vue de permettre et de baliser la vente de drones armés à l'étranger. La perspective inquiète les organisations de défense des droits de la personne, qui sont déjà plus que critiques devant l'usage que fait l'administration américaine de cette technologie. Le point en six questions.

Q: Quelle est la nature du programme annoncé par Washington?

R: Le département d'État américain relève que les États-Unis jouent un rôle mondial de premier plan dans le développement et le déploiement de véhicules aériens sans pilote - communément appelés «drones» - à des fins militaires. Washington maintient qu'il est dans son intérêt, alors que d'autres nations cherchent à se doter de cette technologie, de s'assurer que la vente à l'étranger d'appareils américains sera «compatible» avec sa politique étrangère et ses intérêts en matière de sécurité nationale. Les pays alliés qui se porteront acquéreurs des drones devront adhérer à une série de «principes» assurant un usage «approprié» des ceux-ci.

Q: Quels sont les principes en question?

R: Le département d'État dit vouloir s'assurer que les drones armés seront utilisés conformément au droit international, dans des contextes où il existe un «fondement légal» au recours à la force. L'objectif fait sourciller Jennifer Gibson, une avocate de l'organisation anglaise Reprieve qui travaille sur la question des drones. L'administration américaine, rappelle-t-elle, mène depuis des années une politique très critiquée de frappes ciblées contre de présumés terroristes avec des drones armés et semble par conséquent mal placée pour se poser en gardienne du droit international.

Q: Que reproche-t-on plus particulièrement à l'administration américaine?

R: Le président américain Barack Obama maintient que les frappes de drones effectuées dans des pays aussi variés que le Pakistan, la Somalie et le Yémen visent à contrer la menace «imminente» que posent des individus qui veulent s'en prendre aux intérêts américains. Le mécanisme suivi pour repérer les individus en question demeure beaucoup trop opaque aux yeux des organisations de défense des droits de la personne, qui déplorent par ailleurs le nombre de victimes civiles de ces frappes. «Il semble que leur politique est de pouvoir frapper quiconque est considéré comme un terroriste, quand ils le veulent, n'importe où sur la planète», dénonce Jennifer Gibson, qui s'inquiète de la possibilité de voir d'autres pays s'engager dans la même voie en achetant des drones américains.

Q: Pourquoi le département d'État avance-t-il une nouvelle politique maintenant?

R: Jennifer Gibson, de Reprieve, note que l'adoption de balises relatives à la vente de drones armés vise en partie à répondre aux demandes de l'industrie militaire américaine, qui souhaite pouvoir profiter de ce marché en plein développement. Une firme de recherche aérospatiale estime que le marché des drones - armés ou non - pourrait atteindre près de 12 milliards de dollars d'ici 2024 et plusieurs États espèrent s'en approprier une part importante. C'est le cas notamment d'Israël et de la Chine. Le gouvernement américain, selon Mme Gibson, cherche aussi à répondre à des besoins stratégiques. L'armée américaine, note-t-elle, est débordée par la demande et peine à former suffisamment d'opérateurs pour les systèmes de drones. L'acquisition de la technologie par des pays alliés pourrait lui permettre de bénéficier de leur appui pour des interventions à l'étranger.

Q: Qui sont les clients les plus prévisibles des États-Unis?

R: Les médias américains soulignent que des pays comme l'Italie et la Turquie, qui est membre de l'OTAN, ont déjà sollicité le gouvernement américain en vue d'obtenir des drones armés. Le Canada pourrait aussi se retrouver dans les rangs puisqu'il s'agit de l'un des plus proches alliés des États-Unis, relève Jennifer Gibson. Le Guide d'acquisition de la Défense nationale pour 2014 précise que les forces armées canadiennes espèrent d'ici 10 ans se doter de véhicules aériens sans pilote. Ils devraient notamment «fournir une force de frappe de précision en support aux forces terrestres et spéciales». Un porte-parole de la Défense nationale, Daniel Lebouthillier, a indiqué hier que le pays n'avait pas l'intention pour l'heure de se doter de drones armés et de solliciter les États-Unis à ce sujet. Il a précisé que le guide d'acquisition contenait un «paquet d'affaires» qui ne vont pas nécessairement se concrétiser.

Q: Faut-il s'inquiéter de l'acquisition éventuelle de drones armés par le Canada?

R: L'acquisition potentielle de drones armés par le Canada soulève beaucoup de questions, au dire de Peter McKenna, qui est professeur de science politique à l'Université de l'Île-du-Prince-Édouard. Si elle se concrétise, il faudra notamment définir, souligne-t-il, qui sera ultimement responsable de l'opération des appareils et dans quelles circonstances ils seront utilisés. L'enjeu est particulièrement important, note-t-il, si le gouvernement s'avise de mener des frappes ciblées contre de présumés terroristes, comme le fait l'administration de Barack Obama. La rhétorique des conservateurs sur la «guerre» en cours contre le groupe État islamique suggère que de telles frappes seraient envisageables pour Ottawa, juge le professeur.