Après le passage dévastateur de l'ouragan Sandy en 2012, des centaines de propriétaires d'Oakwood Beach, un quartier de Staten Island, à New York, ont accepté de vendre leur maison à l'État. Ce retrait stratégique permet de redonner de l'espace à l'eau plutôt que de multiplier les moyens de défense coûteux. Ailleurs à New York et au New Jersey, on mise plutôt sur la réalisation de projets urbains pour protéger les rives ; le gouvernement fédéral y consacrera près de 1 milliard de dollars.

Impossible de mettre en doute l'attachement de Patti Snyder et de sa famille pour Oakwood Beach, un quartier de Staten Island situé au bord de l'océan Atlantique, à quelque 30 km au sud de Manhattan.

Elle y a grandi dans un bungalow blanc acquis par son père immigrant en 1965. Elle y a trouvé son mari et acheté sa première maison. Son frère a racheté la maison de son père et sa fille s'est installée dans son pâté de maisons après avoir quitté la demeure familiale.

Mais elle ne regrette pas aujourd'hui de voir Oakwood Beach disparaître, maison après maison.

«Je suis en paix avec l'idée que tout le quartier retournera à la nature», dit Patti Snyder, dont le bungalow a été démoli l'an dernier, comme plusieurs autres maisons avoisinantes.

Son mari et elle font partie des 310 propriétaires d'Oakwood Beach, sur un total de 319, qui ont vendu leurs bungalows, souvent modestes, à l'État de New York après le passage de l'ouragan Sandy, survenu le 29 octobre 2012. Les autorités leur avaient proposé 10% de plus que la valeur de leurs maisons avant la mégatempête, tout en promettant de les démolir et de rendre à la nature les terrains laissés vacants.

Mais les aspects financiers n'ont pas été les seuls à peser dans la décision de Patti Snyder. Son frère, Leonard Montalto, est l'une des 24 personnes tuées par Sandy à Staten Island. Il a été retrouvé noyé dans le sous-sol de sa maison.

«Quand une de mes amies est venue m'offrir ses condoléances, elle m'a dit: "Il est temps de vendre". J'ai répondu: "Absolument". Plus personne ne se sentait en sécurité», confie Patti Snyder.

Le retrait stratégique

Après le passage d'un ouragan ou d'une «super tempête», le réflexe des populations touchées est presque toujours le même: rebâtir. Rebâtir selon de nouveaux critères, dans les meilleurs cas, mais rebâtir néanmoins au même endroit où les maisons inondées, endommagées ou détruites se dressaient.

Or, après les inondations et les destructions causées par Sandy, quatre quartiers de la région de New York - trois à Staten Island et un quatrième à Long Island - ont opté pour une autre solution: le retrait stratégique. Il s'agit d'une pratique qui a déjà été mise en oeuvre dans certains pays européens, où les décideurs et les habitants ont convenu de redonner de l'espace à l'eau plutôt que de s'entêter à adopter des moyens de défense non seulement coûteux, mais également inefficaces à long terme.

Mais le retrait stratégique est une pratique qui suscite une opposition souvent farouche aux États-Unis, tant chez les décideurs que chez les habitants. Pourquoi en a-t-il été autrement dans un quartier comme Oakwood Beach? «Il y a eu ce que j'appelle une tempête parfaite», répond Joseph Tirone, ex-propriétaire d'un bungalow aujourd'hui démoli sur l'avenue Fox Beach, dont il tirait des revenus locatifs.

L'agent immobilier, âgé de 57 ans, ne fait pas seulement référence à Sandy. Un an auparavant, Staten Island et le reste de New York avaient été frappés par Irène, un autre événement météorologique extrême ne devant se produire qu'une fois tous les 100 ans, selon les probabilités scientifiques.

Certains propriétaires d'Oakwood Beach venaient à peine de finir de réparer les dégâts causés par Irène lorsque Sandy a dévasté leur quartier vulnérable aux inondations.

«Sandy a été le coup de grâce, explique Joe Tirone. La majorité des propriétaires songeaient déjà à partir lorsque l'État a fait son offre.»

L'agent immobilier a joué un rôle crucial pour dénicher le programme de rachat financé par le gouvernement fédéral, dont personne n'avait entendu parler à Staten Island. Et il a trouvé en Andrew Cuomo, gouverneur de l'État de New York, un allié précieux qui a consacré une partie de l'aide fédérale de l'après-Sandy - 400 millions de dollars - au rachat de centaines de maisons à Oakwood Beach et dans les autres quartiers de New York qui ont participé au programme.

«Le gouverneur a compris qu'Oakwood Beach devait servir de zone tampon», dit Joseph Tirone.

Mais New York ne peut s'arrêter là. Pour assurer la protection de la ville à long terme, les autorités devront appliquer le concept du retrait stratégique à d'autres zones vulnérables de la ville, y compris les Rockaways, à Brooklyn, et le sud de Manhattan, selon Klaus Jacob, spécialiste de la gestion des risques liés aux catastrophes.

«Nous devons réaliser que la montée des océans, conjuguée aux tempêtes, créera des interruptions d'activités commerciales toujours plus fréquentes, et les investisseurs avisés agiront en conséquence, dit le climatologue de l'Université de Columbia. Donc, ou bien nous affrontons et gérons de front ce problème, ou bien nous devenons, pour l'essentiel, un Detroit pour des raisons climatiques.»

En attendant son retour à la nature, Oakwood Beach ressemble justement à certains quartiers abandonnés de Detroit. Parmi les terrains vacants, plusieurs maisons placardées attendent encore l'arrivée des démolisseurs. Et une poignée de propriétaires n'ont pas encore vendu leurs maisons, pour des raisons personnelles ou financières.

«Certains d'entre eux sont en colère», dit Patti Snyder, qui habite désormais à Oakwood Heights, un quartier avoisinant. «Ils nous en veulent d'avoir vendu. Mais ils devront finir par se résoudre à partir à leur tour. Oakwood Beach ne sera bientôt plus viable pour les humains, seulement pour les animaux.»

Quatre projets pour protéger les rives

Lancé en novembre 2013, le concours international Rebuild by Design a accouché en juin dernier de six projets urbains destinés à protéger les rives de New York et du New Jersey de la montée des eaux. Le gouvernement fédéral consacrera près de 1 milliard de dollars à la réalisation de ces projets. Nous vous présentons ceux qui concernent New York et Long Island.

Le «Big U»

Parmi les projets de Rebuild by Design, le «Big U» est le plus important. Doté de 335 millions de dollars, il prévoit la construction d'un rempart de 16 km qui s'étendra de la 57e Rue, en bordure de l'Hudson, jusqu'à Battery Park, pointe sud de Manhattan, pour remonter jusqu'à la 42e Rue, le long de l'East River. Ce rempart ne servira pas seulement à protéger le secteur des inondations. Il sera surmonté de nouveaux aménagements: parcs, pistes cyclables, terrains de jeux, etc.

Les digues vivantes

D'ici trois à cinq ans, les habitants de la rive sud de Staten Island devraient voir des phoques flâner sur des récifs artificiels et des oiseaux marins y nicher. Ces récifs, dont les parties submergées accueilleront également crustacés, poissons et homards, formeront un collier autour de l'arrondissement new-yorkais. Ils joueront le rôle de digues pour absorber la force des vagues durant les tempêtes et ralentir la vitesse de la montée des eaux. Ce projet est doté de 60 millions de dollars.

Les bouées de sauvetage

Situé sur une péninsule, Hunts Point est un quartier du Bronx qui abrite l'un des systèmes d'approvisionnement alimentaire les plus importants aux États-Unis. Un projet prévoit l'aménagement de quatre «bouées de sauvetage» pour protéger ce secteur crucial contre les inondations et lui permettre de continuer à remplir ses fonctions en cas de panne du réseau électrique. L'une de ces bouées consiste en une voie verte à usage récréatif le long des berges, l'autre en un îlot de production électrique décentralisée.

Vivre avec la Baie

Frappée de plein fouet par Sandy, la rive sud du comté de Nassau, à Long Island, sera dotée d'un «plan de résilience régional» dans le cadre d'un des projets de Rebuild by Design. Ce plan intégrera un ensemble de mesures incluant des éléments de protection - marécages, digues et autres infrastructures -, ainsi que des mesures incitatives à la construction de logements dans les zones considérées comme «en hauteur et sèches» et connectées au réseau de transports en commun.