Le directeur de la CIA John Brennan affrontait jeudi les médias pour défendre la réputation de l'agence du renseignement américaine mise en cause dans un rapport au vitriol sur l'utilisation de la torture après le 11-Septembre.

L'exercice - rarissime - s'annonce périlleux pour cet ancien espion, en première ligne depuis des années dans la lutte contre Al-Qaïda: la minutieuse enquête sénatoriale décrivant des méthodes d'interrogatoire à la fois violentes et inefficaces a provoqué une onde de choc à travers le monde.

Dans la défense de ses équipes, M. Brennan, qui devait s'exprimer à 13H30 (18H30 GMT) au siège de la CIA, devra choisir ses termes avec soin, au risque de se placer en porte à faux vis-à-vis du président Barack Obama qui a jugé que les méthodes utilisées contre les détenus, «que toute personne honnête devrait considérer comme de la torture», étaient contraires aux valeurs des États-Unis.

Dès la publication du rapport, mardi matin, le patron de la CIA a admis que des erreurs avaient été commises, tout en assurant que grâce aux méthodes d'interrogatoire utilisées, les États-Unis avaient obtenu  des informations «qui ont permis d'empêcher des attentats, de capturer des terroristes et de sauver des vies».

Plusieurs ténors républicains affirment en particulier que sans ces interrogatoires, la CIA n'aurait pas compris le rôle central du messager d'Oussama ben Laden, qui a conduit la CIA au chef du réseau extrémiste. Pour les auteurs du rapport, l'assertion est exagérée: de nombreuses autres sources pointaient vers cet homme.

Bombardé de questions sur ce point mercredi, Josh Earnest, porte-parole de l'exécutif américain, s'est obstinément refusé à se prononcer. «Le président est-il d'accord avec le directeur de la CIA sur le fait que ce programme a sauvé des vie , oui ou non ?». «La question la plus importante est "aurions-nous dû le faire?" et la réponse à cette question est non», a-t-il esquivé.

M. Obama conserve-t-il toute sa confiance au patron de la CIA ? «Le président est satisfait de pouvoir s'appuyer sur les conseils d'un grand professionnel tel que M. Brennan pour protéger les États-Unis et nos intérêts», a répondu son porte-parole.

Arrivé en mars 2013 à la tête de la puissante agence de renseignement, M. Brennan était l'une des personnes présentes autour du président dans le sous-sol de la Maison-Blanche le jour où Oussama ben Laden a été tué, le 2 mai 2011, par un commando américain, un instant immortalisé par une célèbre photographie officielle.

Traitements «inacceptables et inhumains»

Les réactions indignées se sont poursuivies jeudi. La Russie a ironisé sur la «prétention» des États-Unis à donner des leçons de démocratie. «Le contenu (du rapport) est choquant», a souligné le délégué pour les droits de l'homme au ministère russe des Affaires étrangères, Konstantin Dolgov. «Les informations publiées sont la preuve des violations cruelles systématiques des droits de l'Homme par les autorités américaines», a-t-il dénoncé.

Le porte-parole de la diplomatie russe, Alexandre Loukachevitch, a de son côté ironisé sur les failles des États-Unis, qui «affirment partout qu'ils sont exceptionnels».

La Turquie a jugé que les traitements décrits par le Sénat américain étaient «inacceptables et inhumains». «La transparence est importante, mais elle ne rend pas pour autant la torture légitime», a déclaré le ministre des Affaires étrangères, Mevlut Cavusoglu.

Le rapport décrit comment des détenus ont été attachés pendant des jours dans le noir, projetés contre les murs, plongés dans des bains glacés, privés de sommeil pendant une semaine, frappés. Khaled Cheikh Mohammed, cerveau présumé du 11-Septembre, ingérait et inspirait tellement d'eau pendant ses séances de «waterboarding» qu'il a fini «quasiment noyé», souligne le document.

L'ancien vice-président Dick Cheney, en poste sous George W. Bush entre 2001 et 2009, a lui jugé mercredi soir que le rapport du Sénat était «plein de conneries». «Nous avons fait exactement ce que nous devions faire pour mettre la main sur ceux qui avaient préparé le 11-Septembre, et pour empêcher d'autres attentats» a-t-il martelé.

La sénatrice Feinstein répond

Pendant que John Brennan, directeur de la CIA, réfutait jeudi lors d'une conférence de presse certaines conclusions accablantes du rapport du Sénat sur la torture à la CIA, la sénatrice l'ayant publié le contredisait point par point en direct sur Twitter.

John Brennan a ainsi déclaré, face à la presse conviée au siège de l'agence d'espionnage, qu'il était «impossible de savoir» si les renseignements obtenus par la torture auraient pu l'être par des techniques d'interrogatoires classiques.

«Le rapport montre qu'on SAIT: la CIA avait des infos avant la torture», a écrit sur Twitter Dianne Feinstein, présidente de la commission du Renseignement du Sénat, qui a rendu public mardi un rapport de plus de 500 pages sur le programme de la CIA pour interroger des détenus liés à Al-Qaïda après le 11-Septembre.

La CIA n'a pas menti au grand public ni aux élus, a assuré John Brennan.

«La commission du Renseignement informée du programme quatre ans après son lancement, seulement quelques heures avant qu'il soit rendu public», en 2006, rétorque Dianne Feinstein, qui n'était alors pas encore présidente de la commission.

La puissante sénatrice regardait la conférence de presse à la télévision, et ses collaborateurs écrivaient les tweets, a précisé à l'AFP son porte-parole.

Oussama ben Laden a-t-il été repéré grâce aux renseignements arrachés à des détenus lors des interrogatoires musclés?

Au final, oui, a dit en substance John Brennan.

«Le rapport prouve définitivement que les EIT n'ont pas conduit à Ben Laden. Page 378», a répondu la sénatrice, en utilisant l'acronyme anglais pour les «techniques d'interrogatoires poussées».

Les 25 tweets de la sénatrice, qui faisait jusqu'à présent un usage très modéré et institutionnel de Twitter, illustrent le glissement de la bataille sur le bilan de la CIA sur le plan médiatique.

Les partisans du rapport, majoritairement démocrates, tentent de contrer l'offensive médiatique des anciens chefs de la CIA et de leurs partisans républicains, notamment de l'ère Bush, qui multiplient depuis ce week-end les interviews dans les médias.

Face aux assertions que «la torture marche», Dianne Feinstein ne cesse de répéter: ReadTheReport, «Lisez le rapport». «Disponible sur internet», indique son dernier message Twitter, avec un lien vers le fichier pdf du rapport sur son site du Sénat.