L'Ohio, qui avait été vivement critiqué au printemps à la suite de l'exécution bâclée d'un homme de 53 ans, souhaite enrober la peine de mort du voile du secret pour s'éviter de nouveaux embarras.

Les élus de l'État américain s'apprêtent à entériner un projet de loi ayant pour effet de protéger l'identité de toute personne ou compagnie [pharmaceutique] qui collabore avec les autorités carcérales pour procéder à la mise à mort d'un détenu par injection létale.

Le texte de loi, qui pourrait être adopté dès la semaine prochaine, précise qu'il sera impossible de procéder à de nouvelles exécutions sans donner de telles garanties «de confidentialité et d'anonymat».

Notamment, peut-on lire, parce que plusieurs collaborateurs de l'État ont été «harcelés ou menacés physiquement» par le passé en raison de leur rôle dans le processus.

«Ils tentent de trouver une solution rapide pour relancer les exécutions, mais ça ne va qu'amener de nouveaux problèmes», commente Kevin Werner, qui chapeaute un regroupement de résidants de l'Ohio opposés à la peine de mort.

Même son de cloche de Mike Brickner, un activiste de la section locale de l'American Civil Liberties Union (ACLU), qui suit de près le dossier.

«Il y a eu quatre exécutions bâclées en huit ans dans notre État. Lorsqu'il y a autant de problèmes, il est important d'avoir plus de transparence et d'imputabilité. Le recours au secret va empirer la situation, pas l'améliorer», prévient-il.

L'initiative de l'Ohio découle en partie des actions de l'Union européenne, qui interdit depuis quelques années aux compagnies pharmaceutiques de vendre aux autorités carcérales américaines des produits susceptibles d'être utilisés pour appliquer la peine de mort.

Un anesthésiant souvent utilisé par le passé, le pentobarbitol, est devenu pratiquement indisponible au cours des dernières années, forçant les États à explorer de nouveaux cocktails médicamenteux pour parvenir à leurs fins.

Poursuite après une exécution

En avril, l'Ohio a tenté de combiner deux produits, le midazolam et l'hydromorphone, pour exécuter Dennis McGuire, qui avait été condamné à mort pour le viol et le meurtre d'une jeune femme.

Plutôt que de sombrer rapidement dans l'inconscience comme c'est normalement le cas, le détenu est demeuré lucide plus d'une vingtaine de minutes. Il était secoué de spasmes et suffoquait jusqu'à la fin, a relaté sa famille, qui a engagé une poursuite contre l'État afin d'empêcher tout recours ultérieur au cocktail médicamenteux en question.

Un anesthésiste qui a témoigné dans le cadre de la procédure a relevé que les produits, tels qu'utilisés par l'État, ne permettaient pas d'assurer une exécution «humaine».

Selon M. Brickner, les élus de l'Ohio espèrent qu'il sera possible, en protégeant l'anonymat des fournisseurs, de garantir un approvisionnement soutenu de pentobarbitol ou de tout autre produit jugé nécessaire pour les exécutions par injection létale.

Le projet de loi précise que les tribunaux ne pourront révéler les noms des entreprises concernées que dans des circonstances très limitées. Des pharmacies locales pourraient ainsi être amenées à fournir de petites doses des produits requis sans avoir à craindre, en théorie, de poursuites ultérieures.

Kevin Werner estime que les législateurs semblent vouloir contrevenir à la séparation des pouvoirs législatif et judiciaire en imposant de telles restrictions.

Les élus entendent par ailleurs invalider tout contrat qui interdirait à une firme américaine de traiter avec les autorités carcérales de l'Ohio pour un produit donné, par exemple à la demande d'un fournisseur européen.

«C'est une loi très créative parce que je ne crois pas du tout que l'État a le pouvoir légal ou constitutionnel requis pour annuler des restrictions imposées dans des contrats internationaux», dit ironiquement le représentant de l'ACLU.

Une mesure dénoncée

Les législateurs vont aussi très loin pour protéger les individus qui participent aux exécutions en relevant que leur ordre professionnel ne sera pas autorisé à les sanctionner pour leur action. Cette mesure est dénoncée par l'Association médicale de l'Ohio, qui juge toute participation à la peine de mort contraire à ses normes éthiques.

L'ACLU note que le cas de l'Ohio est loin d'être unique puisqu'une demi-douzaine d'autres États ont fait adopter des lois sur la confidentialité dans les dernières années.

«Celle de l'Ohio va plus loin que toutes les autres», juge M. Brickner, qui s'attend à ce qu'elle soit rapidement contestée devant les tribunaux si elle est adoptée.