La Cour suprême des États-Unis est apparue prête lundi à porter un coup de canif à la sacro-sainte liberté d'expression, quand il s'agit de menaces de mort proférées sur Facebook, à la manière d'une chanson de rap.

À la manière d'Eminem et d'autres rappeurs renommés, Anthony Elonis s'était mis à diffuser des menaces de mort sur son compte Facebook quand sa femme l'a quitté après sept ans de mariage.

«Il y a une façon de t'aimer mais des milliers de te tuer. Je n'aurai pas de repos, tant que ton corps ne sera pas en morceaux, baignant dans le sang, de ses plaies agonisant. Dépêche-toi, crève, salope!», écrivait-il notamment sur le réseau social.

Mais Anthony Elonis prétend que ses messages n'avaient qu'une vertu «thérapeutique» après la rupture conjugale et qu'il n'avait jamais eu la moindre «intention» de tuer, au même titre que les chanteurs de rap aux textes souvent violents.

À l'audience, la majorité de la Cour suprême n'a pas semblé le croire.

Cette affaire «apparaît comme une marche à suivre pour menacer son époux», a résumé le juge Samuel Alito: il suffit d'écrire des propos violents, de «les mettre en rimes, de prétendre que vous êtes un artiste et vous êtes exempté de toute poursuite judiciaire».

Pendant une heure de débats, la haute Cour s'est d'abord demandée si les textes de M. Elonis constituaient une «vraie menace» passible de poursuites judiciaires.

Les neuf juges de la haute Cour, dont aucun ne semble avoir de compte Facebook, doivent dire s'il est possible de tout écrire sur les forums, chats et autres publications en ligne, ou si le Premier Amendement de la Constitution américaine qui protège la liberté d'expression ne s'applique pas à tout prix.

Dans cette affaire susceptible d'avoir des répercussions sur les violences et harcèlements sur internet, le gouvernement Obama, soutenu par des associations contre les violences domestiques, argue que la loi définit «les vraies menaces, comme des déclarations qu'une personne raisonnable peut interpréter comme l'expression sérieuse d'une intention de nuire».

Proposition d'une «zone tampon» 

Pour le juge Stephen Breyer, il suffit de «savoir que vous postez une vraie menace» sur internet, et c'était le cas.

«On a affaire à un langage très virulent, a fustigé le président de la Cour suprême John Roberts, estimant qu'un jury pouvait être considéré comme «une personne raisonnable» digne de confiance pour définir «une vraie menace». L'ex-femme d'Anthony Elonis «avait peur, est-ce que cela ne suffit pas pour prouver son intention?».

Visiblement soucieux des conséquences pour la liberté d'expression que pourrait avoir une décision défavorable au mari, le juge Roberts s'est cependant interrogé sur l'effet que cela pourrait avoir sur «un adolescent raisonnable sur internet» ou encore sur la créativité de rappeurs comme Eminem.

Lorsqu'il demandait si le chanteur devait «être poursuivi», l'avocat de l'administration Obama, Michael Dreeben, a rétorqué que l'interprétation du gouvernement n'affectait pas «la liberté de création dans le rap».

La juge Elena Kagan a suggéré que la Cour suprême fixe une sorte de «zone tampon» pour l'application du Premier amendement, «car nous ne voulons pas réfréner les comportements innocents».

La plupart des messages virulents de M. Elonis s'adressaient à son ex-femme mais d'autres visaient explicitement une policière du FBI venue l'interroger, les installations du parc d'attractions qui l'avait licencié, ou encore les écoles primaires du quartier qu'il menaçait de «la fusillade la plus haineuse jamais imaginée».

Un juge de première instance, confirmé en appel, l'avait condamné à trois ans et demi de prison et trois ans de liberté surveillée. Un jury populaire avait considéré que ses textes constituaient «une vraie menace».

La décision de la haute Cour sera rendue vraisemblablement en juin.