L'administration de Barack Obama a livré hier un nouveau mea culpa touchant l'utilisation de la torture par les États-Unis dans le cadre de la «guerre au terrorisme», mais a refusé du même souffle de reconnaître la pleine portée internationale du traité qui vise à empêcher de telles pratiques.

La délégation diplomatique dépêchée par Washington à Genève pour répondre aux questions du comité onusien chargé de l'application de la Convention contre la torture a soufflé le chaud et le froid à ce sujet.

Le secrétaire d'État adjoint, Tom Malinowski, a relevé que l'interdiction de la torture et des traitements dégradants s'appliquait «partout, tout le temps, sans exception» pour le personnel américain.

La conseillère juridique du département d'État, Mary McLeod, a noté pour sa part que le traité s'appliquait à tous les lieux que les États-Unis contrôlent «comme entité gouvernementale». Elle a précisé que la prison américaine de Guantánamo, sur l'île de Cuba, ainsi que les navires et les avions américains enregistrés satisfaisaient à ce critère.

Jamil Dakwar, un analyste de l'American Civil Liberties Union (ACLU) présent en Suisse pour suivre les délibérations du comité, a relevé en entrevue qu'il n'est «pas vraiment possible de concilier ces deux déclarations».

Plutôt que de s'exprimer sans ambiguïté sur la portée du traité, l'administration a choisi une formulation «obscure» qui laisse la porte ouverte à de nouvelles dérives, a-t-il noté.

L'ACLU s'inquiète plus particulièrement de la possibilité que la CIA puisse continuer par conséquent de recourir à des prisons secrètes, comme elle l'a fait dans les années suivant les attentats du 11 septembre 2001 avec l'accord du gouvernement de George W. Bush.

Bien que Barack Obama ait officiellement fait interdire cette pratique par décret, il a inclus une exception qui permet aux services de renseignements de gérer des centres de détention pour retenir des personnes «à court terme, de manière transitoire».



Scepticisme à l'ONU

L'intervention de la délégation américaine a été accueillie avec scepticisme par l'un des experts du Comité sur la torture, l'Italien Alessio Bruni, qui a insisté sur le fait que l'interdiction de la torture devait s'appliquer au personnel américain «sans limites géographiques».

La question de la portée de la Convention a suscité de vifs débats internes à Washington. L'enjeu est crucial pour les membres des services de renseignements et de l'armée qui ont torturé des prisonniers et qui craignent de devoir rendre des comptes à la justice.

La question de l'imputabilité des responsables américains ayant autorisé l'usage de la torture, jusque dans les plus hauts échelons de l'administration Bush, est une autre question discutée devant le comité onusien.

Un ancien détenu de la prison de Guantánamo, Murat Kurnaz, est notamment venu témoigner de son expérience, relevant qu'il avait été «vendu» sans raison à l'armée américaine en 2001 au Pakistan et détenu à Kandahar, en Afghanistan, avant d'être envoyé sur l'île cubaine. Il a expliqué qu'il avait été soumis à des décharges électriques, des simulations de noyade et des passages à tabac répétés.

L'homme d'origine turque, relâché sans avoir jamais été accusé au bout de cinq ans, a demandé pourquoi aucun responsable américain n'avait été appréhendé et poursuivi jusqu'à maintenant à ce sujet, comme le prévoit la Convention.

«Le gouvernement américain ne peut prétendre qu'il prend au sérieux les obligations légales contenues dans le traité et ne pas respecter des principes fondamentaux comme celui de l'imputabilité», a déclaré hier M. Dakwar.

L'analyste de l'ACLU espère que la sortie prochaine d'un rapport sénatorial sur les pratiques abusives de la CIA va créer une «impulsion» (momentum) et faire pression sur l'administration Obama pour la contraindre de lancer une enquête exhaustive à ce sujet.

Si elle ne le fait pas, les autres pays signataires de la Convention risquent de s'en occuper en lieu et place de la justice américaine, note-t-il. Quelques-uns ont déjà lancé des procédures à l'encontre de l'ex-secrétaire à la Défense, Donald Rumsfeld, mais l'exercice a tourné court.

«S'il n'y a pas de redditions de comptes aux États-Unis, le monde va devenir de plus en plus petit pour les hauts responsables de l'administration Bush, qui verront fondre le nombre d'endroits où ils peuvent se rendre sans crainte de faire l'objet d'enquêtes et accusés», conclut M. Dakwar.