Derrière les barbelés de Guantánamo, l'alimentation forcée des grévistes de la faim se pratique dans le plus grand secret. Aucun bilan n'est plus jamais dévoilé et le nouveau commandant des opérations a désormais interdit de filmer le processus controversé.

«On ne parle pas de ça», rétorque le numéro 1 de la prison, quand l'AFP lui demande la proportion de détenus nourris par sondes.

«Autrefois, nous donnions un bilan quotidien (...), mais les détenus manipulent les médias régulièrement», a estimé le contre-amiral Kyle Cozad, qui commande depuis juillet la force inter-armées responsable de la prison.

Impossible de connaître la part des 148 détenus de Guantánamo en grève de la faim ou nourris de force. Aucun bilan n'a été communiqué depuis octobre 2013, quand les autorités de la prison ont décrété la fin d'une grève de la faim sans précédent.

Le mouvement avait duré plus de six mois et touché jusqu'à deux tiers des détenus, dont au maximum 46 ont été nourris par sondes. Ces chiffres étaient alors fournis quotidiennement par le porte-parole de Guantánamo.

«La décision de nutrition entérale n'est pas prise sur simple déclaration d'un détenu, elle est fondée sur des facteurs variés et, avant tout, sur une évaluation médicale d'un docteur qualifié. Il s'agit d'une préoccupation médicale et c'est la seule raison pour laquelle nous décidons de nourrir (ainsi) un détenu», a expliqué le contre-amiral Cozad.

«Quand ils recommencent à manger ou retrouvent un état nutritif stationnaire alors nous décidons de les retirer de cette liste.»

Dans un entretien en fin de semaine dernière sur la base navale à Cuba, le commandant a invité les journalistes présents à ne pas prendre en compte «simplement un individu (qui) dit qu'il fait la grève de la faim et va ensuite manger pour 2000 calories de nourriture». «Ce n'est pas un chiffre crédible», a-t-il martelé.

C'est le dirigeant des troupes déployées dans la prison qui décide, en dernier ressort, qui doit être nourri ainsi, même contre son gré.

Interdiction de filmer

«C'est de ma responsabilité, a expliqué le contre-amiral. Nous sommes dans un lieu isolé (...) et nous n'avons pas la possibilité de procéder à l'évacuation sanitaire de quelqu'un qui est gravement malade à la suite d'un long jeûne non religieux.»

C'est aussi l'avis d'une juge fédérale de Washington, qui vient de valider toute la procédure. Le Syrien Abou Dhiab lui demandait de lui épargner les séances quotidiennes d'alimentation forcée qu'il assimile à de la torture.

Mais la juge Gladys Kessler a conclu que les militaires étaient guidés par une «nécessité médicale» pour empêcher la mort du gréviste de la faim et ne cherchaient pas à «lui infliger délibérément une souffrance».

Cette même juge a cependant ordonné que soient dévoilées 28 vidéos classifiées montrant le prisonnier nourri par sondes, au grand dam du gouvernement qui a obtenu de retarder la publication des enregistrements.

Depuis, le commandant Cozad a décidé d'arrêter de filmer cette procédure.

Celle-ci débute par «l'extraction forcée des cellules», comme l'appellent les militaires, et le prisonnier est sanglé sur une chaise dite de «contention». Une sonde est insérée du nez jusqu'à l'estomac, puis retirée 20 minutes plus tard lorsque le détenu intubé a été nourri.

En juillet 2013, le rappeur, acteur et activiste américain Yasiin Bey, mieux connu sous le nom de Mos Def, s'était prêté à l'exercice, acceptant d'être soumis à l'alimentation forcée selon les normes de Guantánamo pour une vidéo produite par l'ONG Reprieve, qui dénonce la pratique comme étant de la torture.

Arguant à la fois du secret médical et militaire, le commandant Cozad s'oppose à la publication des vidéos, car «elles révèlent certaines de nos tactiques, techniques et procédures».

«La nutrition entérale est techniquement une procédure médicale et c'est pourquoi nous la classifions», a justifié le commandant.

Quant à «l'extraction forcée des cellules, c'est une procédure du manuel militaire et (la dévoiler) aurait un impact sur mes troupes, c'est une question de sûreté opérationnelle et un risque potentiel pour la sécurité de mes troupes».