Dynamique, riche d'histoire et si bien préservé, Boston est l'exemple parfait d'une ville qui a su rebondir après des années difficiles pour devenir l'une des plus prospères des États-Unis. Mais comment Boston y est-il parvenu? Et surtout, quelles leçons Montréal peut-il en tirer?

LE TRANSPORT

LE BONHEUR - Je suis parti pour Boston en maudissant tout ce qui est tout croche à Montréal quand ce matin-là, en fait, c'est moi qui étais tout croche. Je n'avais pas prévu assez de temps entre ma chronique radio et le décollage, ce qui a transformé chaque inconvénient en problème majeur: la file de cônes orange sur la 20, le taxi qui repart avec ma valise oubliée dans le coffre, le lecteur incapable de lire mon billet d'embarquement et, bien sûr, le douanier qui me demande de le suivre pour inspection...

Je suis parti de mauvaise humeur, donc, mais il m'a fallu à peine quatre minutes pour retrouver le sourire une fois à destination, grâce à la simplicité de l'accueil à l'aéroport Logan.

J'ai quitté l'avion, descendu un escalier, tourné à gauche, puis, ta-dam, un autobus m'attendait pour m'amener au centre-ville. Ne manquait qu'un carton avec mon nom dessus.

Je sais bien, un au-to-bus... Il y a mieux. Comme ce superbe train rapide qu'a toujours espéré Montréal pour le relier à Dorval et ramener les vols internationaux...

Eh bien, à Logan, un aéroport majeur, non seulement le service rapide par bus appelé Silver Line fait l'affaire, mais il fait des merveilles.

Il passe toutes les huit minutes. Il roule en partie sur voie réservée. Il carbure à l'électricité et au diesel. Il est climatisé. Il offre une grande capacité. Il vous amène au coeur du réseau de transport en commun en 20 minutes. Et contrairement au 747, à Montréal, il est gratuit. Pas d'argent à manipuler ou convertir, pas de billet à acheter, même pas une fois rendu dans le métro.

Le bonheur pour un voyageur, le voilà. Surtout lorsqu'il est de mauvaise humeur.

L'ÉTINCELLE - J'avais encore mon calepin en main quand je suis sorti au grand air, à South Station. J'ai levé la tête et vu six camions de bouffe de rue décrivant un cercle autour du Dewey Square. À gauche, une magnifique gare ferroviaire de style néoclassique. Et à droite, un vaste espace vert qui se perd au loin, le fameux Greenway de Boston.

Il y a quelques années à peine, cette place n'existait tout simplement pas. À la place, il y avait la Central Artery, cette autoroute surélevée démolie lors du Big Dig, ce projet pharaonique qui a réinventé Boston.

On a beaucoup parlé du Big Dig, moins du vaste dessein dans lequel il s'inscrivait: une volonté de transformer la ville grâce à de nouvelles infrastructures de transport. On le voit ici, au Dewey Square. Mais aussi dans l'Innovation District (grâce à la Silver Line), dans le quartier East Boston (grâce à la ligne bleue du métro) ou à Sommerville (grâce à l'ouverture d'une nouvelle station de métro il y a quelques jours).

«Quand on regarde les secteurs en développement à Boston, on voit bien que l'étincelle de départ, chaque fois, c'est les investissements en transport qui ont précédé», explique Sarah Barnat, directrice du Urban Land Institute.

Des investissements publics qui ont entraîné des investissements privés qui ont entraîné la métamorphose de Boston.

LE BIXI - Combien de fois me suis-je fait demander si Montréal avait un service de vélos en libre-service par des Bostoniens fiers de leur Hubway? Un Hubway qui vient pourtant de Montréal...

Boston roule en effet à BIXI: mêmes vélos, mêmes stations. Mais différence de taille: le Hubway est profitable, lui...

Le secret? «La première chose, m'explique la responsable du service à la Ville de Boston, Nicole Freedman, c'est que nous avons été très prudents au début. Nous avons commencé avec peu de stations et nous élargissons graduellement le réseau chaque année.»

Autre chose: il y a bien eu de l'argent public, provenant à la fois de l'État, du fédéral et de certaines villes comme Cambridge, mais le service s'est aussi bâti grâce à des fonds privés. En plus des pubs sur les vélos, de grandes entreprises peuvent commanditer des stations. Il faut ainsi débourser 50 000$ pour avoir une station devant sa tour.

Et comble de l'originalité, les médecins ont ici le droit de prescrire à leurs patients... un abonnement au Hubway! Cela ne rapporte pas beaucoup de sous, mais cela fait jaser, beaucoup. «Les abonnements ont monté en flèche grâce à cette publicité inattendue», précise Nicole Freedman.

Pour trouver une station, il faut le dire, les abonnés ont à chercher davantage qu'à Montréal. Mais ils peuvent se consoler en se disant que le Hubway sera encore là l'année prochaine, lui...

PHOTO SARAH MONGEAU-BIRKETT, LA PRESSE

À Boston, les médecins ont le droit de prescrire à leurs patients un abonnement au Hubway, l'équivalent du BIXI.

LE CENTRE-VILLE

LA PROPRETÉ - J'ai beau m'entraîner, j'ai dû me résigner: je ne cours pas assez vite pour me qualifier pour le marathon de Boston. Pour me consoler, j'ai donc couru dans les rues de la ville, tout seul.

C'est au détour d'une rue que la chose m'a frappé: pas de graffitis sur les murs, pas de tags qui enlaidissent la ville. J'avais déjà remarqué la propreté de Boston, comme tous les Montréalais de passage, mais je réalisais soudainement à quel point elle se voyait partout.

On ne retrouve pas de papiers à terre, pas de rues et de trottoirs sales, pas de poubelles qui débordent. Au centre-ville, elles sont vidées pas moins de trois fois par jour. Certaines sont même frottées quotidiennement. Les commerçants nettoient leur bout de trottoir, parfois leur bout de rue.

«C'est important de préserver la propreté de la ville, me dit Rosemarie Sansone, présidente du Downtown Business Improvement District. Ça contribue au caractère accueillant de la ville et ça attire aussi, on tend à l'oublier, les commerçants. Il ne faut négliger aucun détail.»

Et il ne m'a fallu que quelques foulées dans le secteur pour m'en rendre compte, en jetant un oeil aux façades et aux commerces, bien entretenus. Un peu plus loin, alors que la nuit était tombée vers 21h30, j'ai observé des cols bleus qui mettaient de l'ordre dans le parc linéaire Greenway. Arrivés avec leur petit camion électrique Bobcat, ils ont rapidement et très soigneusement replacé les chaises, fermé les parasols, ramassé quelques papiers, vidé les poubelles. L'un d'entre eux s'est même accroupi pour gratter une gomme collée au trottoir.

Plus révélateur encore, j'ai eu beau chercher, je n'ai trouvé aucune ampoule brûlée dans les différentes marquises, pas plus dans celle du Paramount, que du Boston Opera ou de l'Université Suffolk. Ne négliger aucun détail...

LA ZONE DE COMBAT - On appelait ça la combat zone à une autre époque. Aujourd'hui, c'est l'un des secteurs les plus prisés de Boston, ce qui donne une idée de la transformation qu'a connue cette ville au fil des décennies.

Le centre-ville est ainsi redevenu le véritable coeur de la métropole, un quartier situé à l'est du Boston Common qui accueille à nouveau les commerçants, les amateurs d'arts et de spectacles et même les résidants. Car les Bostoniens recommencent à voir leur downtown comme un milieu de vie, pas seulement comme un centre commercial où l'on s'arrête rapidement en auto.

Ce revirement spectaculaire, on le doit en bonne partie au Business Improvement District (BID), une organisation commerciale aux pouvoirs et aux services étendus, et, surtout, à l'obligation pour tous les propriétaires du secteur de le financer.

Ça peut avoir l'air d'un détail, mais ça ne l'est pas pour qui connaît la situation à Montréal, où seuls les commerçants financent les sociétés de développement commercial. Résultat: plusieurs propriétaires négligents n'ont pas à payer, ils laissent leurs locaux vides, ne les entretiennent pas, attendent que d'autres investissent dans le secteur... puis le jour où le quartier reprend vie, hop, ils louent leurs locaux à fort prix.

«Ici, à Boston, tout le monde s'est senti impliqué dans la relance du secteur, explique la présidente du BID, Rosemarie Sansone. Les différents investissements privés, surtout ceux de quelques grands propriétaires fonciers, ont donné un élan au secteur. Mais je dois dire que le marketing et l'animation ont aussi beaucoup aidé.»

Il n'y a qu'à se promener sur la rue Summer pour voir ce que l'organisation fait de ses cotisations. Des musiciens jouent du Dixie dans les rues tous les jours. Il y a constamment des concerts gratuits. Divers marchés installent leurs tables dans le quartier chaque semaine. Des «ambassadeurs» se promènent pour répondre aux questions des marcheurs et nettoyer les trottoirs. Plus de 500 paniers de fleurs ont été suspendus. L'illumination des arbres est en cours. L'art public est encouragé. Et un programme incite les résidants à ouvrir la porte de leur demeure au grand public une fois par année.

«L'idée est de se présenter comme un milieu accueillant où il fait bon vivre, marcher, flâner, prendre son temps, précise Rosemarie Sansone. Le fait d'avoir des rues piétonnes et du mobilier urbain intéressant aide beaucoup. On tente justement de voir comment on peut accroître dans les prochaines années la zone réservée aux piétons.»

Preuve du succès des différentes initiatives: une épicerie ouvrira bientôt ses portes dans le secteur, chose impensable dans l'ancienne «zone de combat»...

L'HARMONIE - On a beau se préparer avant de partir, il y a toujours quelque chose qui nous échappe à distance. Prenez l'hôtel de ville de Boston. J'y avais pris plusieurs rendez-vous pour des entrevues, puis une fois sur place, je me suis pointé sur School Street devant ce vénérable bâtiment de 150 ans.

Nono. La Ville a déménagé ses pénates 200 mètres plus loin, au «New City Hall». Il y a 50 ans. La mairie se trouve dans un édifice brutaliste qui n'a rien à voir avec l'image que je me faisais de Boston... et qui n'a rien à avoir avec l'image que les Bostoniens se font de leur propre ville, car il est un des rares à jurer avec l'harmonie frappante de son architecture.

C'est depuis la rivière Charles que la cohésion de Boston est la plus frappante. À bord de l'Architecture Cruise, un tour de bateau qui permet d'avoir une vue d'ensemble de la ville, même les tours plus modernes, comme celles d'I.M. Pei (architecte de la Place Ville Marie), semblent se fondre dans ce paysage urbain tout en équilibre qui suit une ligne déterminée, la high spine.

«La Boston Redevelopment Authority, qui doit autoriser les projets d'envergure et ceux qui voient le jour dans des secteurs clés, est très sensible au contexte architectural, explique Emily Grandstaff-Rice, présidente de la Boston Society of Architects. Tout est contrôlé avec un souci de la pureté de la ligne d'horizon. Et ceux qui veulent faire des projets plus audacieux, ils vont construire plus loin, au MIT!»

Plusieurs trouvent ça contraignant, c'est vrai. Mais peu se désolent de la grande beauté préservée de Boston.

PHOTO SARAH MONGEAU-BIRKETT, LA PRESSE

Au centre-ville de Boston, des «ambassadeurs» se promènent pour répondre aux questions des marcheurs et nettoyer les trottoirs.

L'EXPÉRIENCE

LA MARCHE - S'il y a quelque chose de commun entre Montréal et Boston, c'est l'indiscipline des piétons. Mais ce qui distingue les deux villes, c'est la place qui est faite à ces mêmes piétons.

À Montréal, les marcheurs sont les bienvenus. À Boston, ils sont carrément chez eux. La ville entière semble pensée en fonction des bipèdes.

Il y a d'abord l'Emerald Necklace de Frederick Law Olmsted (le même qui a dessiné notre mont Royal), ce fabuleux chapelet de parcs et d'espaces publics qui s'étire sur près de 12 km, du Boston Common au parc Franklin, en passant par la Commonwealth Avenue.

Il y a ces nombreuses promenades urbaines, comme la Freedom Trail, empruntée par des millions de visiteurs. Il y a le nouveau Greenway, ce ruban de parcs qui serpente au centre-ville en lieu et place de l'ancienne autoroute surélevée.

Et contrairement à Montréal, où on peut aménager un édifice comme le 1000, de la Commune (l'ancien entrepôt frigorifique) sans accès à l'eau, Boston oblige tous les promoteurs à prévoir un passage piétonnier entre leurs édifices et le fleuve.

Boston appelle cela le Harborwalk, une promenade qui s'étirera à terme sur 75 kilomètres, soit plus que la longueur totale de l'île de Montréal! Juste. Pour. Les. Piétons.

LES BERGES - Boston, c'est un peu ce qu'aurait été Montréal si Montréal avait été à la fois métropole ET capitale, une ville dynamique, riche d'histoire, bien préservée... qui a droit à l'attention et à l'argent des gouvernements supérieurs.

Boston est évidemment une ville riche, riche de son PIB, riche de ses habitants. Mais Washington et le Massachusetts n'en dépensent pas moins d'argent pour autant. On le voit avec le fameux Big Dig, payé par l'État et le fédéral. On le voit aussi avec le développement du havre de Boston, un énorme projet où l'argent privé coule à flots... parce que les investissements des gouvernements ont précédé.

La chose est frappante quand on se promène dans les quartiers comme l'Innovation District, où les grues sont nombreuses parce que le secteur a profité de la construction du centre des congrès et du Institute of Contemporary Art, signé Diller Scofidio + Renfro.

C'est encore plus évident dans East Boston, le quartier voisin de l'aéroport Logan. Il s'agit d'un ancien chantier naval pris d'assaut par quelques pionniers et artistes. «Le chantier au grand complet est notre toile actuellement», se réjouit Matt Pollock de HarborArts.

Il n'y a donc rien ici pour l'instant, sinon de la créativité. Et pourtant, sachant les promoteurs proches, les autorités ont déjà prévu les équipements et espaces publics... AVANT de donner le feu vert aux promoteurs, contrairement à ce qu'on a fait à Montréal dans Griffintown.

«La planification du secteur s'est étirée de 2002 à 2006, explique ma guide dans le secteur, Sarah Barnat du Urban Land Institute. Puis les interventions publiques ont suivi, les logements abordables, les parcs, la rénovation de la station de métro.»

Mais une telle intervention nécessite une volonté et une implication coordonnées de tous les gouvernements, qui ont chacun leur responsabilité dans un tel secteur. Précisément ce qui a manqué dans le havre de Montréal.